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un astre observable, Uranus, ont révélé un astre inconnu, Neptune, et permis même de calculer sa place dans le ciel. Un calcul analogue peut s’appliquer aux faits de la conscience, selon les partisans de la psychologie contemporaine. Nos sentimens, nos idées, nos volontés subissent parfois des perturbations sans cause appréciable pour la conscience. J’étais joyeux tout à l’heure ; pourquoi suis-je devenu triste ? Quel nuage a passé en moi sans que ma conscience l’ait aperçu ? Au dehors, rien n’est changé ; pourquoi tout est-il changé au dedans ? — Maine de Biran explique ce fait par ce qu’il appelle la réfraction morale. La conscience est enveloppée d’une atmosphère de petites perceptions inconscientes venues de nos organes, et tout ce qui arrive du dehors ne pénètre en nous qu’en se réfractant à travers ce milieu : un changement nouveau dans la sphère inconsciente produit dans la conscience le changement dont nous ne voyons pas les raisons. C’est par des raisonnemens de ce genre, souvent appuyés sur des calculs et sur des expériences physiologiques, qu’on est arrivé à concevoir un domaine qui ne serait ni le pur mécanisme matériel ni l’esprit conscient, mais de l’esprit inconscient. « L’opinion traditionnelle qui, dit M. Wundt, admet que la conscience est une scène embrassant toute notre vie intérieure, est inacceptable… La conscience ne connaît que les résultats du travail opéré dans ce laboratoire obscur situé au fond d’elle-même ; l’inconscient est le théâtre des phénomènes spirituels les plus importans : partout la conscience suppose l’inconscient comme condition[1]. » L’originalité de la doctrine aujourd’hui en faveur chez les psychologues de l’Allemagne et même de l’Angleterre, c’est donc d’admettre des faits qui seraient tout ensemble spirituels et inconsciens. Nous avons à rechercher si ce n’est pas là « multiplier sans nécessité » les principes d’explication et les formes de l’existence.


I.

Par ce terme vague d’inconscient les psychologues désignent les choses les plus différentes et concluent ensuite faussement d’une acception à l’autre. Ce vague est surtout frappant dans le livre de M. Colsenet ; nous regrettons que MM. Wundt et de Hartmann eux-mêmes n’aient pas donné de définitions plus précises. Quels sont les vrais phénomènes inconsciens sous tous les rapports ? Ce sont les phénomènes purement mécaniques ; il est clair que les mouvemens de l’automate construit par Vaucanson n’étaient accompagnés d’aucun

  1. Physiologische Psychologie, intr., p. 5.