Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cent piastres pour l’hôpital de la Charité !

— Hurrah!

Les casseroles sonnèrent de nouveau. L’infernal cortège hurla longuement pour rattraper le temps perdu ; mais White eut la joie de le voir tourner l’angle de la rue.

Mme White cependant interrogeait la pendule.

— Minuit! Il est plus de minuit!

Le bruit s’était éteint peu à peu. Elle releva la jalousie, prêta l’oreille. Quelqu’un frappait.

— C’est toi, White?

— Oui, j’ai réussi, Patty.

— Quel bonheur! s’écria-t-elle.

— Ils ont porté leur charivari à cette vieille Allemande qui a épousé l’amoureux de sa belle-fille. Il faudra qu’elle paie cent piastres à l’hôpital pour les faire finir.

Mme White, rentrée en possession de son époux, sommeillait paisiblement auprès de lui, quand elle fut éveillée par le bruit que faisait en se refermant le couvercle d’une montre.

— Il est trois heures et demie, Patty, et je n’ai pu dormir. Ces gredins sont encore dans la rue. Les entends-tu?

— On dirait, en effet, qu’ils se rapprochent, s’écria la pauvre femme, effrayée.

— Ils viennent même très vite, dit White, qui avait à la hâte endossé ses vêtemens. Tu te lèves?.. N’approche pas de la fenêtre, Patty. Miséricorde!.. quel fracas!

— Tu ne sortiras pas, White !

Il était déjà loin. Deux ou trois cents individus étaient lâchés grand train dans la large rue neuve, courant vers la maison maudite. Le tapage qu’ils faisaient ne se peut décrire. Mme White, penchée à la fenêtre, malgré les conseils de son mari, vit le petit homme tenir tête à la foule, gesticuler comme une marionnette, essayer inutilement de se faire écouter. On ne répondait qu’en secouant la tête, en criant p’us fort et en pressant le pas. L’orateur était chassé par cet ouragan humain, porté en avant bon gré mal gré.

Rapides comme l’éclair, ils passèrent les dernières maisons, les derniers réverbères, envahirent les terrains vagues à la lueur des étoiles et pénétrèrent dans les jungles hérissées de saules de la propriété hantée. Le cœur parut manquer alors à quelques-uns; ils traînaient en arrière ou tournaient les talons, mais la plupart marchaient toujours, déchirant l’air de leurs clameurs assourdissantes. Un incident toutefois leur donnait à réfléchir.

Devant eux, dans le fourré sombre, une lumière faible dansait, sautillait; ce devait être tout près de la vieille maison. Soudain