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sur des peaux préparées, sur un papier fort et résistant, fabriqué avec les fibres de l’agave. Tantôt l’artiste retrace les scènes de la vie réelle ; d’autres fois il raconte les faits au moyen de caractères hiéroglyphiques, symboliques ou phonétiques, signes conventionnels transmis par les générations et auxquels il était défendu de rien innover. Les Mexicains attachaient une grande importance à ces peintures, elles étaient dessinées par des hiérogrammates spécialement choisis, gardées avec un soin jaloux par des prêtres, et leur lecture ou leur interprétation étaient sévèrement interdites au peuple[1].

Une des plus curieuses représente la suite des migrations des Aztecs. Les figures humaines sont d’une grande finesse; les chefs portent tous le même vêtement, un manteau qui laisse le côté droit à nu; leur nom est représenté par un signe au-dessus de leur tête; l’expression des physionomies, les traits du visage sont très variés; l’artiste s’est certainement efforcé de reproduire les portraits de ceux dont il retraçait l’histoire. Une autre série de peintures montre l’éducation des enfans, la nourriture qu’on leur donnait, les châtimens qu’on leur infligeait. Le père apprend à son fils à porter des fardeaux, à diriger un canot, à se servir de filets pour la pêche. La mère enseigne à sa fille les soins domestiques; elle balaie la maison, elle prépare les tortillas, elle tisse les étoffes nécessaires à la famille. Ces peintures offrent les traits nets et les couleurs brillantes que recherchaient avant tout les Américains. Il est évident qu’il ne faut pas leur demander des modèles de peinture décorative; leur ignorance complète des proportions et des lois de la perspective montre que l’art était bien un produit de leur génie propre, ou, si le mot paraît trop ambitieux, de leur instinct de race, et qu’ils n’ont subi aucune influence étrangère. La tradition veut que les Aztecs aient puisé leurs procédés chez les Toltecs, les initiateurs de tout progrès dans l’Amérique centrale. Après leur victoire définitive, les rois de Mexico firent détruire toutes les peintures qui rappelaient la grandeur de ceux qu’ils avaient vaincus. Par une représaille bien juste, toute douloureuse qu’elle puisse être pour la science, les Espagnols, vainqueurs à leur tour, s’empressèrent de détruire les annales des Aztecs, et quelques fragmens échappés au fanatisme de l’évêque Jean de Zumarraga sont les seules sources authentiques où nous puissions puiser[2]. Si ces pictographies ne peuvent désormais nous offrir

  1. Ces pictographie sont souvent été reproduites, entre autres par Gemelli-Carreri, lord Kingsborough, Humboldt, Bancroft, etc.
  2. Zumarraga se vantait que, dans l’espace de huit ans, les franciscains avaient détruit plus de vingt mille monumens de l’idolâtrie. Quelques manuscrits échappèrent à la destruction. Les pictographies retraçant l’éducation des enfans sont tirées du codex Mendoza, ainsi appelé du nom du vice-roi qui en fit hommage à Charles-Quint. C’est une copie moderne généralement regardée comme exacte; elle est complétée par des explications en langue aztèque et en espagnol. Le codex Mendoza comprend trois parties : la première est historique, la seconde est un relevé des tributs des différentes provinces, la troisième, où nous avons puisé, se rapporte aux mœurs et aux coutumes des Aztecs.