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tiques (il est vrai qu’elle en profitait pour visiter Endymion dans la caverne du Latmos), la voici réduite à son tour à se rendre pendant la nuit auprès de l’objet de sa passion ! Il faut reconnaître que ces discordances sont soigneusement exclues des jolis passages où est peint l’amour de Médée ; mais il était difficile de revenir plus malheureusement aux données de la légende.

Quant au meurtre d’Apsyrte, c’est un odieux guet-apens où la perfidie ne se relève même pas par le courage. La responsabilité en est, il est vrai, partagée par Jason, le triste héros du poème ; mais s’il a la première idée du piège, c’est Médée qui en combine l’artifice avec sa science du mensonge et qui se charge d’y attirer la victime. Elie est là quand son frère est surpris et frappé ; elle détourne la tête et se cache les yeux, mais le sang du meurtre rejaillit sur son voile blanc : c’est le symbole de la souillure morale dont elle est atteinte. On peut dire qu’à ce moment le poète veut rentrer dans la tradition et rendre Médée à son caractère consacré. Il n’en est pas moins fâcheux que les traits charmans qu’il s’était plu à dessiner soient condamnés à s’effacer sous nos yeux, et que cette douce figure ne nous ait apparu que pour s’évanouir bientôt.

Le défaut originel de cette conception d’une Médée aimable et touchante ne se montre pas moins dans le cadre où elle est inévitablement placée. Apollonius, entraîné par l’imitation d’Homère, — un de ses perpétuels soucis, dont M. Couat n’a pas assez parlé, — refait les charmantes scènes du voyage de Nausicaa à l’embouchure du fleuve et de ses jeux au milieu de cette nature à la fois sauvage et gracieuse. Médée monte de même sur un char attelé de mulets, avec son cortège de jeunes vierges ; de même, elle est comparée à Diane entourée de ses nymphes ; elle cueille en chantant des fleurs avec ses compagnes. Mais ces peintures et ces images, si naturelles chez Homère et si bien fondues dans une impression dominante, ne vont pas ici tout simplement. Nous ne nous abandonnons pas au plaisir qu’elles nous causent sans quelque trouble et sans quelque inquiétude. Cette prairie émaillée de fleurs où s’ébattent les jeunes filles est tout près du temple d’Hécate, la terrible déesse ; non loin de là est la plaine de Mars avec ses taureaux qui vomissent la flamme, ainsi que le bois où veille le monstrueux dragon, et nous voyons à l’horizon les sommets affreux du Caucase que le poète vient précisément de nous rappeler.

Virgile, lui aussi, subira le charme d’Homère et comparera sa Didon à Diane, accompagnée de ses nymphes ; mais comme cette comparaison et toutes les impressions de la nature environnante s’accorderont avec le drame de l’amour et se mêleront heureusement à son mouvement et à ses émotions ! C’est au milieu des forêts et au bord