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des Muses, comme l’appelait le satirique Timon, était un ensemble de magnifiques constructions qui avait quelque ressemblance avec notre Institut et nos grands établissemens d’enseignement et d’études scientifiques. Au milieu de cours et de promenades plantées d’arbres s’élevait un édifice entouré de portiques et surmonté d’un dôme. Un exèdre, sorte de salle ouverte, très appropriée au climat de l’Égypte, était disposé pour les réunions savantes. Dans les dépendances, il y avait la célèbre bibliothèque que les rois avaient réunie à grands frais, des lieux d’étude et d’enseignement où étaient admis même des enfans, des salles de dissection, des observatoires astronomiques installés sur les terrasses, des parcs peuplés d’animaux de toute espèce, des jardins d’acclimatation remplis de plantes rares. Une vaste salle à manger recevait les pensionnaires des Ptolémées, c’est-à-dire les savans, les érudits et les poètes que leur munificence attirait. Ils trouvaient ainsi, sous la présidence du grand-prêtre des muses et la direction du bibliothécaire, reconnu en même temps comme chef du Musée, une somptueuse retraite, pourvue de toutes les ressources pour l’étude et pour le bien-être. Ils y vivaient, séparés de la foule, comme dans un des beaux monastères du moyen âge. Mais si leur monastère les protégeait contre le contact de la population mêlée d’Alexandrie, il était cependant singulièrement mondain et ouvert au siècle. Il les laissait, ou plutôt les mettait en communication constante avec le roi et avec la cour. Or, le roi, dans la dynastie des Ptolémées, est le plus souvent un mélange de volupté plus ou moins délicate et de cruauté. Il est curieux de voir comme certains unissent la férocité sanguinaire des Orientaux au goût de la grammaire et de la science. L’énorme Ptolémée Évergète Physcon (ventru), surnommé aussi le Philologue, est la terreur d’Alexandrie ; il tue son neveu dans les bras de sa sœur le jour où il épouse celle-ci, et il corrige le texte d’Homère. La cour, qui comprenait à peu près toute la société polie, était sous l’influence des femmes, des reines, des maîtresses royales adonnées à de fastueux plaisirs et divinisées par l’adulation. De là un ton de galanterie particulier, dans des sortes de cours d’amour qui se formaient autour d’elles. On connaît, par la traduction de Catulle, la pièce de Callimaque sur la chevelure de Bérénice. Il est vrai qu’auparavant, Stratonice, femme de Séleucus, avait mis au concours l’éloge de ses cheveux, quoiqu’elle fût chauve, et cela prouve que les mœurs littéraires se ressemblaient alors dans les différentes cours. Mais celle d’Alexandrie, où se concentrait le mouvement des lettres, tenait de beaucoup le premier rang.

De cet ensemble de faits se tirent facilement les principaux caractères de la poésie alexandrine. Le poète n’est nullement national ni