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à ses armes le Nan-Yüe, c’est-à-dire le pays situé au sud du Yang-tzé-kiang, et même une partie de l’An-nan, ce qui prouve que les droits revendiqués par la Chine sur le royaume de Hué ne datent pas d’hier. L’ambassadeur de Wu-Ti, nommé Chang-Kien, après de cruelles vicissitudes, ne revint que vers l’an 126, mais se représenta les mains pleines de nouveaux trésors à la cour de son empereur, dont la reconnaissance l’éleva à la dignité de prince (wang). Cet illustre personnage écrivit une relation de son voyage, relation perdue aujourd’hui. C’est à lui que les anciens auteurs chinois attribuent l’introduction du Carthame, de la Fève, du Concombre, de la Luzerne, de la Coriandre, du Noyer, du Sésame. Depuis cette époque, l’introduction des végétaux utiles continua toujours, et même celle des végétaux d’ornement. Les plantes de l’Inde ont pénétré en Chine à la suite des prêtres du dieu Bouddha, qui, aujourd’hui encore, cumulent en Chine le métier d’herboriste avec les fonctions sacerdotales. Ils y eurent d’autant plus de mérite que, pendant plusieurs siècles, la Chine et l’Inde ne communiquèrent que par un grand circuit au nord du massif montagneux du Tibet, par la Bactriane et le pays de Caboul.

La propagation du mahométisme, à une époque plus récente, a marqué l’arrivée d’un autre groupe de plantes : le Dattier est venu de la Perse, le Fénugrec de l’Arabie. Quand les provinces de l’Asie méridionale eurent été définitivement conquises, elles fournirent un ample et nouveau tribut d’arbres utiles pour la teinture, la parfumerie ou l’ébénisterie, ou de végétaux d’un bel aspect. Dès que l’empereur Wu-Ti avait eu soumis le Nan-Yüe, il avait fait bâtir dans la capitale de ses états, la ville de Tchang-Ngan[1], le palais de Fou-Li, dans les jardins duquel il fit planter des arbres empruntés aux provinces du Sud, comme pour étaler sous les yeux étonnés de ses sujets du Nord quelques-unes des merveilles de ses nouvelles conquêtes. On put voir dans ces jardins, d’après la relation qu’il en fit écrire, les deux Nephelium, les deux Canarium, l’Aréquier, le Cannelier, le Bananier, l’Oranger à fruit doux, le Balisier, etc. Il est probable que la plupart de ces végétaux ne vécurent pas longtemps dans la vallée de la rivière Weï, mais leur perte a été depuis amplement compensée. Le Pois, l’Épinard, la Moutarde blanche, la Pastèque, l’Arachide, pour la plupart largement cultivés en Chine, y sont les résultats d’une introduction savamment poursuivie. Les lettrés avaient fait de ce moyen d’enrichir l’empire comme une science spéciale ; dans une de leurs encyclopédies, publiée en 1735, à l’époque la plus brillante de leur civilisation dans les temps

  1. C’est-à-dire Si-ngan-fou, dans la province actuelle du Chen-Si.