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la conscience que nous retrouverons sous l’acte réflexe, ou est-ce au contraire l’insensibilité et l’inconscience? En d’autres termes, n’y a-t-il qu’un pur mécanisme fonctionnant comme celui d’un automate quand, par exemple, le rat, privé de ses hémisphères cérébraux se met à fuir en entendant ou paraissant entendre la menace du chat; quand le pigeon, dans les mêmes circonstances, écarte la tête devant la menace du poing ou suit du regard la lumière qu’on lui présente. Rappelons d’abord les principaux faits de ce genre Kuss, ayant amputé la tête d’un lapin avec des ciseaux mal effilés qui hachèrent les parties molles de façon à prévenir l’hémorragie, vit l’animal, réduit à sa moelle épinière, s’élancer de la table et parcourir toute la salle avec un mouvement de locomotion parfaitement régulier. La moelle épinière semble une ligne de centres nerveux associés et néanmoins indépendans en une certaine mesure : chaque vertèbre paraît former comme un animal distinct. Landry et Vulpian ont divisé en plusieurs segmens la moelle épinière du cochon de fait en laissant intact le reste du corps; la communication avec le cerveau étant interrompue, la tête de l’animal ne sentait plus ce qui se passait dans les segmens séparés; ces segmens n’en continuaient pas moins de vivre et d’avoir leur excitabilité propre, leurs actions réflexes : quand on les irritait, ils réagissaient par des contractions musculaires, et cette excitabilité réflexe a pu durer de trois mois à un an. Qui ne connaît encore l’expérience célèbre de Pflüger? Ce dernier toucha avec de l’acide acétique la cuisse d’une grenouille décapitée, la grenouille essuya l’acide avec la face dorsale du pied correspondant. Pflüger coupa alors ce pied et appliqua de nouveau l’acide au même point; la grenouille essaya de nouveau de l’essuyer avec le même pied, et, n’y réussissant pas, puisque le pied n’existait plus, elle renonça à des efforts infructueux et sembla inquiète, agitée, « comme si elle cherchait un nouveau moyen. » Enfin elle se mit à essuyer l’acide avec le pied du côté opposé. Pflüger fut si vivement frappé qu’il en conclut que la moelle épinière, comme le cerveau, est capable de sentir et possède « des facultés sensorielles. » Des phénomènes réflexes de la moelle et du bulbe rachidien se produisent aussi chez l’homme indépendamment du cerveau : les plus familiers sont la toux, l’éternuement, le vomissement. On a vu, dit M. Vulpian, des fœtus sans cerveau qui criaient et qui suçaient le doigt qu’on leur mettait entre les lèvres. Chaque segment de la moelle paraît se comporter comme un petit cerveau. Si la moelle se trouve divisée au-dessous de l’origine des nerfs respiratoires, toute sensibilité consciente et toute motilité volontaire semblent abolies dans les parties du corps qui sont au-dessous de la section ; mais quand alors