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ou pénible du résultat dépend de la proportion des élémens. Supposez que les deux aspects, l’un pénible, l’autre agréable, soient combinés en proportions à peu près équivalentes, le résultat final sera à peu près l’indifférence. Toutefois, même dans cet état, le tissu nerveux conserve et manifeste toujours sa double propriété : celle d’être excité (irritabilité) et celle de retenir les excitations (retentiveness de l’école anglaise), base de l’habitude et de la mémoire; il s’ensuit qu’un plaisir contre-balancé par une peine n’est pas équivalent, pour la conscience, à la pure absence de plaisir ou de peine. Comme l’équilibre intérieur est toujours plus ou moins instable et consiste moins dans un repos que dans une oscillation rapide entre des limites très rapprochées, le résultat du conflit est un état d’agitation ou, plus simplement, d’excitation qui, en lui-même, peut être légèrement pénible et agréable selon son rapport avec le développement général de la vitalité. C’est cet état d’excitation, état réellement dérivé et secondaire, que M. Bain et presque tous les psychologues anglais (même M. Spencer), ont pris pour un état primitif. M. Bain[1] soutient que nous pouvons avoir un sentiment sans plaisir ni peine : il cite la surprise comme exemple familier d’un sentiment qui enveloppe seulement une excitation, et qui peut être tantôt agréable, tantôt pénible, tantôt indifférent. Mais, outre qu’il y a dans la surprise un élément intellectuel, — à savoir la claire conscience d’un changement et la pensée d’une cause de ce changement, — le coup pur et simple de la surprise est lui-même un effet dérivé. On peut en dire autant du choc, auquel nous avons vu M. Spencer et M. Taine ramener tous les autres phénomènes mentaux, comme à une sorte d’excitation qui, en soi, serait indifférente sous le rapport du plaisir ou de la peine, et qui, en se combinant de diverses façons, produirait le plaisir ou la peine. Selon nous, c’est au contraire le plaisir et la peine qui, en se combinant, produisent l’état d’excitation ; et quand l’excitation est vive, quand le changement est à la fois assez brusque et assez fort, il y a choc. Voilà pourquoi le choc, à notre avis, n’est pas primitif. Le vrai coup primitif, ce n’est pas celui dont parle M. Spencer et qui est tout mécanique, ce n’est pas non plus le raisonnement logique que M. Wundt place sous les sensations, c’est le plaisir et la douleur, c’est le désir favorisé ou entravé, qui ne raisonne pas et n’est pas non plus un simple mécanisme; c’est la vie même de l’être se sentant d’une manière immédiate dans son harmonie ou son opposition avec le milieu. Plus tard seulement, quand le sentiment de la « résistance » mécanique aura perdu par l’habitude tout caractère douloureux pour devenir presque

  1. Mental and moral Science, p. 217.