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produit par l’action mécanique d’un objet. Un choc ou un coup fort peut se décomposer en un ensemble de petits coups faibles qui sont, selon M. Spencer, l’élément primordial de la sensation. De même que, dans le monde extérieur, tout le mécanisme des choses paraît se réduire aux lois du choc, du même, dans le monde intérieur, toutes les sensations qui correspondent aux objets se réduisent, pour MM. Spencer et Taine, à la sensation du choc, tantôt extrêmement faible, tantôt plus forte, combinée de mille manières et retentissant de toutes les façons dans le cerveau, dans la conscience. Un bruit sans durée appréciable, une décharge électrique traversant notre corps, une vive lumière éblouissant nos yeux, tout cela offre en effet une évidente analogie avec un choc ou un coup, et nous exprimons le phénomène par les mêmes mots : « Je suis frappé. » Enfin le choc, à son tour, se ramène à la sensation de résistance, de mouvement contraire au nôtre, de force en opposition avec notre force. La résistance, ce conflit des mouvemens ou des forces, est, selon l’école anglaise, le fait qui se retrouve au fond de toutes les sensations. Ces idées sont d’accord avec ce que la physiologie nous apprend sur la nature de la décharge nerveuse, qui est probablement un mouvement ondulatoire, une série de pulsations. Quand nous écoutons un son grave, nous entendons les renflemens et diminutions successifs du son, qui produisant une série de pulsations. Un phénomène analogue a lieu dans tous les sens et dans tous les nerfs : c’est une série de pulsations et, par conséquent, de chocs successifs, semblables à ceux d’une onde qui bat le rocher du rivage

Restent les sensations de douleur ou de plaisir qui peuvent se retrouver dans celles du toucher. Selon la théorie anglaise, généralement admise par les psychologues contemporains, les sensations de contact et de température portées à l’excès détermineraient la douleur, qui ne serait ainsi qu’une exagération et un retentissement des autres sensations dans l’organisme. C’est ici que nous nous séparons de la théorie courante. Sans doute une température excessive ou un contact trop fort détermine de la douleur, mais cette douleur n’est, selon nous, que l’amplification d’un élément pénible qui existait déjà en germe dans les sensations, mêlé sans doute à des élémens de plaisir. La douleur qu’on nomme massive n’est qu’une résultante et un composé complexe : dans notre état actuel, nous ne pouvons guère avoir de plaisir simple, ni de douleur simple, puisque tout notre corps souffre à la fois et que le cerveau reçoit des milliards d’excitations en une seule seconde. Tous nos plaisirs et toutes nos peines sont donc des émotions composées, des agglomérations de plaisirs et de peines ; le caractère agréable