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II.

Après avoir déterminé les conditions de la vie consciente, nous devons rechercher quels sont les élémens dont elle se compose et, parmi ces élémens, celui qui est le plus primordial : nous saurons ainsi, pour parler comme les Anglais, quelle est en quelque sorte « l’étoffe » dont notre conscience est faite. Les psychologues modernes, — tous ceux du moins qui sont animés de l’esprit scientifique, — s’accordent à considérer comme élémens de la conscience La sensation et la réaction motrice qui est toujours la suite de la sensation. L’objet du livre de M. Taine, c’est de ramener tous les faits, mentaux aux sensations, et tous les faits physiologiques aux actes réflexes. Par là se substitue à la vieille doctrine des facultés de l’âme la distinction plus scientifique des phénomènes d’irritabilité et de contractilité, en d’autres termes, de sensibilité et de « motricité » : sentir les impressions du dehors et réagir par le mouvement, voilà toute notre vie.

Mais les psychologues contemporains, après s’être accordés sur ce point, se divisent bientôt quand il s’agit de répondre à la question suivante : — Dans la sensation même, est-ce l’élément affectif, plaisir ou peine, qui est primordial, ou est-ce l’élément représentatif et intellectuel? De là deux camps : ceux qui accordent la primauté à la sensibilité et ceux qui l’accordent à l’intelligence. Cette dernière opinion est celle de la plupart des psychologues allemands, sauf de M. Horwicz. M. Wundt va jusqu’à faire d’une opération logique, le raisonnement, considéré sous sa forme inconsciente, l’élément primitif de tout le développement spirituel, y compris les plaisirs et les peines. Plaisir et peine sont pour lui des conclusions de raisonnement; les prémisses, par exemple les rapports entre les vibrations sonores, sont inconscientes, et la conclusion seule, par exemple le plaisir de l’harmonie, apparaît dans la conscience. Pascal définissait les passions des « précipitations de pensées; » M. Wundt définirait volontiers les sentimens des précipitations de raisonnemens. Les derniers élémens de la vie mentale sont, dit-il, « quant à la matière, des faits mécaniques, et quant à la forme, des raisonnemens inconsciens. » Le mécanisme et la logique seraient ainsi les deux aspects de toutes choses, l’un extérieur et l’autre intérieur, comme « le convexe et le concave, » pour rappeler une comparaison d’Aristote qui a fait fortune.

Pour M. Taine aussi il semble que la logique, qui ne fait qu’un avec la mécanique, soit le dernier mot des choses; que tout se déduise d’une loi ou « axiome éternel, » qui est en même temps un mouvement