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gulier du prolégomène et du paralipomène ! Voulant dire comment Chopin et Mme  Sand se sont rencontrés, il débute ainsi : « Brune et olivâtre Lélia, tu as promené les pas dans les lieux solitaires, sombre comme Lara, déchirée comme Manfred, rebelle comme Caïn, mais plus farouche, plus impitoyable, plus inconsolable qu’eux ! Il ne s’est pas trouvé un cœur d’homme assez féminin pour t’aimer comme ils ont été aimés, pour payer à tes charmes virils le tribut d’une soumission confiante et aveugle, d’un dévoûment muet et ardent, pour laisser protéger ses obéissances par ta force d’amazone… Après avoir émoussé son ciseau à polir cette figure de Gorgone, dont la vue stupéfiait et arrêtait le battement des cœurs, Mme  Sand cherchait en vain une autre forme au sentiment qui labourait son âme insatisfaite, etc. » Liszt a pu être génial, il n’a jamais été un génie. En musique, en littérature et dans presque tous les actes de sa vie publique, ses visées ont dépassé ses facultés de réalisation ; mais s’il rate à peu près tout ce qu’il entreprend, ses avortemens sont d’un maître. Ainsi, dans cette espèce de galimatias encyclopédique sur Chopin, vous rencontrerez çà et là des nomenclatures tapageuses où semble passer comme un souffle des Orientales, du Victor Hugo après du d’Arlincourt. L’auteur, traitant de la Pologne et de ses anciennes danses, imagine d’en faire revivre le costume et la mise en scène : « En écoutant quelques-unes des polonaises de Chopin, on croit voir des groupes magnifiques tels que les peignait Paul Véronèse. L’imagination les revêt du riche costume des vieux siècles : épais brocarts d’or, velours de Venise, satins ramages, zibelines serpentantes et moelleuses, manches accortement rejetées, sabres damasquinés, joyaux splendides, turquoises incrustées d’arabesques, chaussures rouges du sang foulé ou jaunes comme l’or, » — côté des hommes, et, pour ce qui regarde les femmes, — « guimpes sévères, dentelles de Flandre, corsages en carapace de perles, traînes bruissantes, plumes ondoyantes, coiffures étincelantes de rubis ou verdoyantes d’émeraudes, souliers mignons brodés d’ambre, gants parfumés des sachets du sérail. Ces groupes se détachent sur le fond incolore du temps disparu, entourés des somptueux tapis de Perse, des meubles nacrés de Smyrne, des orfèvreries filigranées de Constantinople, de toute cette fastueuse prodigalité de ces magnats qui ferraient légèrement d’argent leurs coursiers arabes lorsqu’ils entraient dans les villes étrangères, afin qu’en se perdant le long des voies, les fers tombés témoignassent de leur libéralité princière, » Ces lignes pourraient servir de programme à la Polonaise en fa majeur, et encore, que de choses dans la musique de Chopin qui ne sont pas dans ce paragraphe :