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devient libre qu’au moment précis où le piston d’acier entre en mouvement par l’action des gaz de la poudre. Il résulte de la simultanéité de ces deux mouvemens que le style trace sur la petite plaque une courbe dont l’étude fait connaître la loi des vitesses ; leurs accroissemens, d’après les lois de la dynamique, donnent la mesure des forces qui les produisent. Ces expériences rigoureuses et précises ajoutent au mérite de la difficulté vaincue celui d’une simplicité justement admirée par les membres de la savante commission.


III.

M. Marcel Deprez, comme inventeur et comme savant, était déjà digne de grande estime, lorsque, bien jeune encore, il me soumit quelques idées nouvelles. Très sûr de lui, il me mit en défiance. Il parlait d’une voiture projetée qui devait rouler sur les plus mauvaises routes sans craindre cahots ni secousses; une machine à résoudre les équations se rattachait au même principe, où la considération des vitesses virtuelles avait place. « Veuillez, lui dis-je, me rappeler la définition de ces vitesses. » Un peu surpris peut-être, il énonça très correctement la règle subtile et profonde qui résume et contient la statique. « De quel droit, ajoutai-je, appliquez-vous à une voiture en marche cette loi générale de l’équilibre? » L’objection aurait troublé un ignorant; elle fit sourire M. Deprez. Par curiosité, par habitude peut-être, je faisais succéder les questions aux questions, une matière menait à l’autre; nous étions loin déjà de son carrosse, lorsque, se levant tout à coup, M. Marcel Deprez s’écria avec impatience : « Mais, monsieur, vous me faites passer un examen! » C’était parfaitement vrai. « Vous m’avez fait, lui dis-je, l’honneur de me soumettre vos projets; je n’ose à première vue me prononcer; j’y penserai avec attention; je me serais dispensé de le faire s’ils reposaient sur de vagues sentimens des choses. La théorie est nécessaire pour inventer une machine, comme les pierres pour bâtir un mur. J’ai voulu vous juger, et je me demande, je vous l’avoue, où vous avez appris, et sous quel maître, à si bien parler de la science ! » La passion des machines l’avait entraîné; la science, pour lui, était une lumière, les formules, une arme nécessaire. Il me rappela Léon Foucault. Ces deux esprits, très différens par leurs ambitions et leurs goûts, se ressemblent par leurs aptitudes. A la science, dans laquelle ils auront excellé tous deux, l’un associait le talent et les goûts d’un artiste, l’autre l’amour des applications utiles et la curiosité des