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comparée à la dérisoire royauté du Christ du prétoire, au lambeau de pourpre jeté par les bourreaux sur les épaules de Jésus flagellé et au blasphématoire INRI de la croix du Calvaire. Encore une fois, les législateurs de 1871 étaient trop sérieux et trop sincères pour avoir voulu abuser la papauté et le monde avec une pareille souveraineté de théâtre et de parade.

Qu’est-ce donc alors (si c’est plus qu’un vain titre) que cette souveraineté sans base réelle, sans territoire pour lui donner de corps, sans substance pour ainsi dire? La question, au point de vue même de la législation des garanties, ne nous paraît pas aussi obscure qu’elle le semble au premier abord. La qualité de souverain que la loi de 1871 donne au pape, cette loi ne la lui a pas conférée. Le saint-père en était déjà revêtu, la législation italienne la lui a seulement reconnue en la bornant, en lui enlevant tout caractère politique, pour la réduire à la sphère purement spirituelle. Dépouillée de ses anciens états et du territoire sur lequel elle s’exerçait, la souveraineté du pape est devenue en quelque sorte personnelle, propre à sa personne et à ses ministres. Pour n’avoir plus de sujets auxquels commander, le pape n’en est pas moins demeuré souverain indépendant vis-à-vis d’autrui, vis-à-vis de l’Italie et des gouvernemens. Cette conception, si bizarre qu’elle semble, n’est pas de tout point illogique. Dans toute souveraineté, en effet, il y a deux côtés et pour ainsi dire deux faces, l’une intérieure, l’autre extérieure, qui, pour être d’ordinaire réunies dans la même personne, ne sont point absolument inséparables. La souveraineté peut être considérée du dedans, dans son autorité vis-à-vis des peuples ou des sujets qui lui sont soumis, et, du dehors, dans son indépendance vis-à-vis des puissances qui n’en relèvent point, vis-à-vis des puissances également souveraines. De ces deux aspects, de ces deux parts de la souveraineté, si l’on peut ainsi parler, l’Italie, en enlevant au pape la première, a prétendu lui conserver la seconde, la seule, en réalité, qui importe à la liberté de son ministère. S’il n’est plus le souverain des Romains, s’il n’est le souverain de personne, le pape peut continuer à être considéré et à être traité en souverain, en puissance indépendante, par les états et les gouvernemens, par l’Italie notamment, qui n’en voulait qu’à ses sujets et à son territoire.

Entendue de cette manière, cette souveraineté, pour être personnelle et conventionnelle, n’en serait pas moins effective, en ce sens qu’elle aurait des conséquences et des droits réels. Si elle a le défaut de n’être qu’une souveraineté de tolérance, n’ayant d’existence qu’autant qu’elle est admise de l’Italie et des puissances, les Italiens pourraient dire que la souveraineté du pape à Rome, lors même qu’elle était territoriale, n’était en fait depuis longtemps