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certain qu’en maintenant au pontife qu’il dépossédait cette qualité de souverain, le gouvernement italien lui a laissé un titre dont il paraît difficile de faire une simple décoration. Il y aurait, en tout cas, de la part des catholiques témérité à en faire fi ; il y aurait également naïveté de leur part à s’en contenter sans en peser la valeur pratique.

La loi des garanties ne s’est, du reste, pas bornée à donner au pape cette haute qualification de souverain ; si elle n’a pas spécifié les droits attachés à cette qualité, elle a du moins reconnu au pontife plusieurs des immunités qui en semblent découler. Ces prérogatives souveraines ainsi attribuées au pape, les catholiques, préoccupés des intérêts de la foi, les politiques, soucieux de la paix religieuse, sont en droit de demander de quelle manière elles ont été entendues et de quelle manière elles pourraient l’être ; car, en pareille matière, ni les principes ni les lois ne sont tout : l’essentiel, c’est le mode d’application des lois. Comment celle de juin 1871 a-t-elle été interprétée ? Peut-on dire que le gouvernement italien y ait toujours scrupuleusement adhéré ? Les auteurs mêmes des guarentigie papali ne sont pas d’accord à cet égard : les plus sincères ne contestent point que la loi n’a été strictement respectée ni dans l’esprit ni dans la lettre.

Venons aux faits et citons des exemples. L’article 2 de la loi des garanties établissait que les offenses et injures publiques, commises directement contre le souverain pontife, en paroles ou en actions, seraient punies des peines établies par l’article 19 de la loi sur la presse. Or cet article 19 est celui qui fixe les châtimens encourus par ceux qui se rendent coupables d’offenses envers le roi et la famille royale[1]. Le pape, à cet égard, est donc légalement assimilé au roi. Est-ce ainsi que les choses se sont passées en fait ? Pie IX et Léon XIII ont-ils été défendus contre les injures de la presse, contre les indécences d’immondes caricatures, contre les grossières invectives des tribuns des réunions publiques, avec la même vigilance que le roi Victor-Emmanuel ou le roi Humbert ? Personne ne l’oserait soutenir. Comme Pie IX naguère, Léon XIII aujourd’hui, — le signer Pecci, ainsi que l’appellent certains pamphlétaires, — peut impunément être insulté dans la presse romaine ou dans les meetings populaires. Les feuilles radicales, telles que la Lega et la Capitale, sont libres de lui lancer des injures ou des menaces sans que les autorités italiennes, si naturellement susceptibles lorsqu’il s’agit du roi, croient devoir intervenir. La loi est formelle, mais le gouvernement n’a pas le courage de faire observer la loi.

  1. Un des défauts de la loi des garanties que l’on voit se manifester ici, c’est que, au lieu de former un tout indépendant et de se suffire à elle-même, elle s’appuie en partie sur d’autres lois, lesquelles pourraient être modifiées en dehors d’elle.