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romain n’était pas seulement une demeure tranquille ; aux yeux de ses maîtres, c’était un état modèle, le seul qui demeurât soumis aux lois de Dieu et de l’église, le seul qui s’efforçât de réaliser sur la terre l’image de la Jérusalem céleste. Ce qui, chez lui, semblait défaut à la plupart des laïques était vertu et qualité pour ses recteurs ecclésiastiques[1]. Avec l’occupation italienne, Rome est tombée de ce haut rang, elle a été ravalée au niveau des capitales vulgaires, elle a cessé de remplir sa vocation providentielle. Le pape ne peut pas, par sa présence dans les rues souillées de la nouvelle Jérusalem, avoir l’air d’en reconnaître la déchéance et d’en sanctionner la profanation. Une dernière considération, et non la moindre peut-être, a, depuis 1870, retenu le souverain pontife au fond de son palais solitaire. Quand il ne serait pas arrêté par la crainte de paraître consentir tacitement à ce qui pour lui est à la fois une spoliation et un sacrilège, le sentiment de sa dignité, de la dignité du siège apostolique suffirait à l’empêcher de franchir le seuil où veille sa garde suisse. Pas plus que Pie IX, Léon XIII ne redoute les injures, les sifflets, les menaces des fanatiques d’irréligion qu’il pourrait rencontrer sur son passage. Comme Pie IX, comme autrefois Pie VI ou Pie VII, il saurait au besoin braver d’autres dangers ; mais, de même que Pie IX, Léon XIII ne se croit pas permis d’exposer sans nécessite la dignité pontificale à des affronts ou à des injures. Le pape et le sacré-collège s’en pourraient même faire scrupule. On sait avec quel soin pieux le clergé et les fidèles ont de tout temps soustrait les choses saintes, la croix, les vases sacrés, les images ou les reliques des saints aux outrages des impies et aux profanations. Or, pour les catholiques, la personne même du pape, représentant de Dieu sur terre, image vivante du Christ, est chose sacro-sainte ; il serait coupable de l’exposer à l’irrévérence et aux indécens sarcasmes des incrédules.

À ce sentiment de religieuse vénération, qui, depuis les malheurs de la papauté surtout, entoure le pape d’un véritable culte, se joint le sentiment humain de la dignité. Toute dynastie, toute nation, tout parti politique a sa dignité. On ne saurait dénier à la dynastie pontificale, la plus haute assurément de toutes celles qui ont prétendu régner sur le monde, le soin de veiller à la sienne. Dans tous les débats sur la situation du pape à Rome, on est trop enclin à l’oublier, la dignité du souverain pontife ne tient pas une moindre place que sa liberté. Les papes ne sont guère moins sensibles aux blessures faites à l’une qu’aux entraves apportées à l’autre. Dans tous leurs discours, Léon XIII et Pie IX n’ont jamais séparé la première

  1. Voyez un Empereur, un Roi, un Pape, IIIe partie, chap. II.