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Assurément, si l’on pouvait attirer du coup à Saint-Louis le commerce de Tombouctou et de toute la vallée du Niger, on serait bientôt récompensé de ses peines. Les Arabes du Sahara ont un proverbe qui dit : « que la gale du chameau a pour remède le goudron et que la misère se guérit au Soudan. » Ce n’est pas l’opinion de l’ennemi le plus acharné et le plus spirituel du chemin de fer du Haut-Sénégal, M. Lambert de Sai nie-Croix; il disait au sénat : « qu’en poussant jusqu’au Niger, nous arriverions non au jardin des Hespérides, mais au jardin des arachides. » Il ne faut pas trop mépriser les arachides, non plus que l’huile qu’on en tire. Mois il y a dans les environs de Tombouctou des choses plus précieuses que les arachides, et selon le rapport de tous les voyageurs, l’Afrique centrale renferme plus d’un pays de grande production et de grand commerce avec lequel nous pourrions faire d’utiles marchés. Ce qu’il faut accorder à M. Lambert de Sainte-Croix, c’est que, dans toute la contrée à la fois grandiose et sévère, souvent lugubre, que traversera notre chemin de fer ou notre chemin vicinal pour atteindre Bamako et le Niger, on chercherait vainement à l’heure qu’il est les élémens d’un commerce lucratif. Les cultures y sont clairsemées, les bois y sont chétifs, les forêts y sont rares. Ce n’est pas la cognée, c’est le feu qui les a détruites. A chacun de leurs campement, les Européens de notre colonne expéditionnaire trouvaient difficilement cinq ou six arbres de grande tournure, qui les missent à l’abri d’un soleil qui tue, et le colonel Borgnis Desbordes avait souvent peine à se procurer dans les villages assez de mil pour nourrir ses mulets et se préparer le couscous de ses tirailleurs indigènes.

Peut-il en être autrement? Toute cette région a été ravagée par des conquérans sans merci, hommes de sang et de pillage, dont on disait « que partout où ils avaient passé, le coup de balai était si bien donné que cinquante ans après la place était encore nette. » Exposées aux plus cruelles vexations, à de perpétuelles avanies, à d’incessans brigandages, ces populations ont pris le parti de ne cultiver qu’un petit coin de leur jardin et de re produire que ce qui est nécessaire à leur subsistance. C’est un pays à refaire, et refaire un pays est un ouvrage de longue haleine. Le rôle que doit jouer la France de Bafoulabé à Kita et de Kita à Bamako est celui d’un bon gendarme, bienveillant pour les honnêtes gens qui travaillent, intraitable pour les voleurs et les pillards, s’entremettant avec discrétion dans les querelles pour les concilier, veillant à la sûreté des routes, apprenant à tout le monde à apprécier les bienfaisans effets de la paix. Quand les chefs militaires installés dans les postes que nous avons créés auront assis notre puissance dans le Soudan, accompagné les caravanes à compter sur notre protection, inspiré aux méchans et aux larrons un salutaire effroi, alors cette terre qui ne demande qu’à tout produire recouvrera par degrés sa fécondité, et le chemin de fer qui remplacera notre chemin vicinal sera assuré de couvrir