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l’éloge et le blâme flottent entre le pour et le contre. Dussault ne reprend un peu d’aplomb qu’en face de l’abbé Morellet et de son incompétence. Alors, il se sentit d’autant plus à l’aise qu’il avait à venger ses propres griefs ; mais, sous de froides épigrammes n’éclate pas la joie cordiale d’un justicier qui venge le talent. Son article sur le Génie du christianisme est également évasif. L’homme de parti voudrait applaudir l’apologiste, mais sans pactiser avec un novateur : il en résulte de la gêne, et comme l’indécision d’un regard qui louche. Une main retire ce que l’autre donne, et les réserves n’ont pas plus de franchise que l’adhésion. Après des complimens qui affectent un ton protecteur, craignant de s’avancer trop, il recule : il est effarouché par les audaces « d’un style descriptif ou rêveur qui lui semble une véritable corruption, » et qu’il « renvoie aux bucoliques ou à l’élégie ; » car la prose poétique lui paraît l’expédient de ceux qui ne savent écrire ni en prose, ni en vers ; mais il ne l’insinue que timidement. En réalité, il se montre aussi malveillant que le comportent les égards dus à un coreligionnaire. S’il n’avait écouté que ses préjugés, il eût traité Chateaubriand comme Mme de Staël, qu’il place au-dessous de Mme de Genlis, et dont il dit : « Si on voulait relever chacune de ses erreurs, on ferait vingt volumes sur les trois qu’elle consacre à la Littérature : c’est un livre bon à mettre au pilon. »

Dans ces impertinences entrait l’animosité du politique et du classique, dont la superstition formulait un jour cet axiome : « Nous ne devons plus inventer de nouvelles figures, sous peine de dénaturer notre langue, et de blesser son génie. » Il prêcha d’exemple ; et son vocabulaire pittoresque ne se composa guère que de la défroque mythologique : la balance de Thémis, le glaive de Mars, le bandeau de l’Amour, la ceinture de Vénus, l’olivier de la paix, et autres oripeaux légués depuis à M. Prudhomme. Les astronomes sont pour lui « des amans d’Uranie. » Il dit que Collin d’Harleville fréquente « la cour de Thalie, » que « les journalistes se nourrissent avec délices de tous les venins de l’Envie ; » que « nous ne voulons pas acheter les lauriers au prix de nos sueurs ; » que M. de La Harpe, ouvrant les cours du Lycée, « sème de fleurs le vestibule du temple. » Il compare la curiosité d’un savant qui « soulève le voile sacré de la nature » à l’indiscrétion « d’Actéon portant des regards téméraires sur des nudités mystérieuses. » Quand il se lance dans u le style sublime, » il écrit que « la philosophie est l’éternel flambeau du monde, mais que ses rayons lumineux excitent dans les esprits malades des fermentations dangereuses, comme l’astre du jour fait quelquefois éclore de désolantes contagions. » Ailleurs, il minaude, en se souriant à lui-même ; on dirait une