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Annales où il recueillit ses fleurs de rhétorique. Ce n’est pas qu’on ne puisse encore feuilleter ces articles avec un certain intérêt; ils ne manquent ni de correction, ni d’élégance, ni surtout de facilité. Mais les jugemens n’ont aucun relief, et n’entrent jamais dans le vif. Ce rédacteur de lieux-communs a plus de forme que de fonds, et plus d’acquis que d’esprit. Il est de ces fades panégyristes qui ne caractérisent les talens que par des à-peu-près, et, prodiguant de vagues épithètes, ne savent pas distinguer nettement ou finement les variétés d’une espèce ou d’un genre. Si ses admirations semblent apprises par cœur, ses haines viennent de la tête et ont l’air d’obéir à une consigne. Voilà pourquoi elles se tournent en déclamations outrageantes qui font penser à ce mot de Joubert : « Quelque aménité doit se trouver même dans la critique. Si elle en manque absolument, elle n’est plus littéraire. » Or Dussault n’hésite pas à diffamer ceux dont il combat les doctrines, par exemple, quand il écrit : « Un sophiste de l’antiquité n’était content de ses disciples que s’il ne comprenait rien à leurs compositions : alors, il les jugeait parfaites. Obscurcissez, obscurcissez, s’écriait-il. Voilà tout le secret des grands penseurs du XVIIIe siècle. Ils avaient l’art de tout obscurcir, pour tromper les sots. » Il ne voit qu’une « niaiserie dans le dogme de la perfectibilité; » il n’accorde pas même la bonne foi à des adversaires qu’il traite de « saltimbanques, dignes de figuier à la foire. » Toutes ses diatribes sont la paraphrase de ce refrain : « Les grands prêtres de la religion voltairienne lancent encore dans le public de gros volumes, pour montrer qu’il leur reste de l’encre et du papier; mais, s’ils continuent de prêcher, c’est pour sauver les apparences ; car ils ne croient plus, et la honte de se démentir est le seul lien qui les retienne. »

En revanche, il s’épanouit d’aise en face des orateurs chrétiens du XVIIe siècle; mais c’est un enthousiasme de commande, ou du moins une exaltation banale qui, ne discernant aucune nuance, fait part égale d’éloges à Bossuet et Fléchier, à Pascal et Nicole. S’il exprime des préférences, elles vont d’ordinaire aux opinions plus qu’aux talens. C’est ainsi qu’il perd le sens de la mesure au point de comparer Rollin « à Lycurgue et à Selon. » Quant aux contemporains, il les pèse dans des balances faussées par des préventions qu’aggravent parfois ses rivalités jalouses. Elles sont très sensibles sous les louanges aigre-douces que lui impose la renommée de La Harpe. N’osant pas l’attaquer de front, il le taquine et le harcèle par les piqûres d’une ironie sournoise. Tout en reconnaissant que le Lycée est « notre plus riche inventaire de critique, » il lui reproche de se grossir de jour en jour, « comme ces fleuves qui ne dédaignent pas même les plus obscurs ruisseaux... » Il faut que