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longue et sévère ; cependant, elle commença par une exposition pleine de douceur. Plusieurs fois, je voulus placer quelques mots dans les courts intervalles de l’homélie ; mais, d’un léger signe de sa main, M. de Pradt me forçait au silence, et ce signe était encore si paternel que je crus recevoir la bénédiction[1]. »

S’il aiguise finement une malice, sa causticité emporte la pièce lorsque la cause en vaut la peine. Une de ces généreuses colères lui inspira son chaleureux plaidoyer en faveur de M. Etienne et de ses Peux Gendres accusés de plagiat. Quelle volée de bois vert il administre aux complices d’une intrigue où l’envie coalisa « les petits talens à grande prétention, les manœuvres qui se croyaient ouvriers, les artisans qui se disaient artistes, les faiseurs de poétique ad libitum, les hurleurs de mélodrame, les fabricans de pointes, les parfumeurs du Parnasse, les petits-neveux de Tabarin, » en un mot, toute la cohue des médiocrités jalouses. Animé par l’amitié, l’avocat prouva du moins que son esprit valait son cœur. — Signalons encore l’amusante campagne qu’il mena contre le docteur Gall. Il courut sus à la phrénologie sans se laisser déconcerter par l’engouement universel ; et, malgré les mères qui s’obstinaient à tâter le crâne de leurs nourrissons pour explorer leurs vertus ou leurs vices, il retourna si bien l’opinion que les plus chauds partisans du nouveau système se vantèrent de n’y avoir jamais cru. Lorsque Spurzheim essaya de ranimer une foi éteinte, Hoffman revint à la charge, et réduisit en poudre toutes les mappemondes ou tabatières craniologiques. Il ne fut pas moins redoutable à Mesmer et aux jongleurs, dont le plus grand miracle était de faire pleuvoir les pièces d’or dans leur bassin magnétique.

Son bon sens se défiait de la passion comme de l’erreur, et ce confrère de Geoffroy craignait trop d’être dupe pour s’associer au fanatisme d’une réaction. S’il ne jure point sur la parole de Voltaire, il n’est pas de ceux qui le calomnient, ou veulent le proscrire. S’il déteste les violences de la révolution, sa raison dit sagement : « Il ne s’agit plus de s’apitoyer sur des malheurs irréparables. Un peuple nouveau habite la vieille France ; il l’a conquise : c’est folie de vouloir lui rendre comme par un coup de baguette les idées, les croyances, les institutions d’autrefois, et leur prestige. Qui commettra cette faute doit nécessairement périr. » Sa franchise n’épargne pas non plus « ces faux Brutus qui, valets sous César, » attendirent les premiers craquemens de son trône pour se rappeler qu’ils avaient été jacobins. Il soufflette de son mépris « ces libéraux qui

  1. Le récit paraîtra plus plaisant si l’on se rappelle qu’Hoffman était bègue, et que M. de Pradt parlait avec une extrême volubilité.