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une vérité reconnue depuis des siècles. Mais on ajoute que c’est grâce au ruban d’argent de 20 à 100 milles de largeur qui sépare la France de nos côtes méridionales, que nous avons toujours joui des bienfaits de la paix. La vérité est, — et cette vérité est bien connue de tous ceux qui n’ont pas oublié l’histoire, — que, sauf dans ces cinquante dernières années, nous avons presque toujours été en guerre. » Après avoir montré que la cessation de la guerre depuis une cinquantaine d’années provient non du ruban d’argent qui entoure l’Angleterre, mais du développement du commerce et des voies de communication, M. Bright en concluait que le tunnel ne pourrait qu’augmenter les chances de paix. Abordant alors les objections des adversaires du projet, il ajoutait : « Voici deux assertions des adversaires du tunnel que je prends la liberté de contester d’une manière absolue : la première, c’est que la nation française et son gouvernement sont composés de brigands ; la seconde, c’est que la grande nation anglaise, dont le bras s’étend sur tout le globe, est composée d’imbéciles. »

Hélas ! si tous les Anglais sont de l’avis de M. Bright sur ce second point, ils ne le sont pas sur le premier. Le projet de tunnel a été rejeté sous prétexte qu’il mettrait l’Angleterre à la merci d’un coup de brigandage de la France. Voilà où nous en sommes avec un pays naguère encore notre allié le plus intime ! Voilà où nous a conduits la politique suivie depuis deux ans ! Et il ne faut pas croire que les Anglais agissent en hypocrites, qu’ils ne ressentent pas les paniques qu’ils feignent d’éprouver. La grande nation anglaise, pour laquelle nous professons la même admiration que M. Bright, est cependant, de toutes les nations, celle où les folles terreurs se répandent avec le plus de rapidité. Est-ce le sentiment que sa force est artificielle? que c’est une œuvre du génie humain, non de la nature? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle craint sans cesse de la voir périr. De là ces émotions extraordinaires, mais non simulées, qui l’agitent en présence des plus fragiles fantômes. Une politique avisée devrait tenir compte de ce tempérament britannique et savoir en profiter. Il est clair que l’Angleterre tremblerait devant la perspective d’une rupture définitive avec la France; j’ai déjà dit qu’elle était vulnérable dans l’univers entier; mais il convient d’observer encore que nous sommes peut-être la seule nation européenne capable de l’attaquer à la fois dans toutes ses parties vulnérables, parce que nous sommes la seule qui ait une grande marine sur les mers, et de grands établissemens coloniaux à côté des siens. Tout le monde de l’autre côté de la Manche pense donc au fond du cœur comme M. Bright : « que l’Anglais, dont une guerre entre la France et l’Angleterre est la préoccupation constante, et qui entreprend de faire croire que c’est une chose