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saurait avoir. Le jour où nous prendrons ce parti, le seul raisonnable, la triple alliance sera singulièrement menacée, et peut-être trouverons-nous des amis parmi ceux qu’elle unit aujourd’hui contre nous. Toutefois, il est bien clair qu’ayant à traiter, comme je l’ai expliqué, non avec des peuples, non avec des partis libéraux, mais avec des gouvernemens monarchiques, ou plutôt même avec des souverains, maîtres absolus de la politique extérieure de leur pays, nous ne vaincrons les hésitations qu’ils ont à se rapprocher de nous qu’en renonçant à ce qui nous donne surtout à leurs yeux et aux yeux de leurs conseillers l’apparence révolutionnaire, c’est-à-dire à la guerre religieuse que nous avons entreprise avec tant d’imprudence et que nous poursuivons avec tant de témérité.

On peut discuter la question de savoir si le Culturkampf français, au moment où il a été inauguré, était d’une grande habileté. C’était à l’heure même où le Culturkampf germanique aboutissait à un échec évident, où M. de Bismarck, impuissant à écraser la force catholique y commençait à chercher le moyen de s’en servir; c’était également à l’heure où le développement de notre action sur la Méditerranée allait soulever contre nous les susceptibilités de l’Italie. Choisir une occasion pareille pour rompre ouvertement, brutalement, avec l’allié naturel que les circonstances nous offraient en Allemagne et en Italie, avec le culte qui avait été le drapeau de la protestation de l’Alsace-Lorraine contre la conquête, qui restait l’arme de guerre de tous les particularismes allemands, qui créait entre l’Allemagne du Sud et l’Allemagne du Nord la seule barrière naturelle réellement difficile à franchir, enfin avec le pontife dont la présence à Rome constituait la plus grande ou plutôt la seule résistance au triomphe définitif des ambitions italiennes, — agir ainsi, pourquoi? pour venger quelques injures électorales, pour exercer des représailles contre quelques évêques et quelques curés maladroitement compromis dans nos luttes, c’était assurément sacrifier les intérêts généraux du pays aux sentimens les plus étroits et les plus inavouables.

Mais la colère ne raisonne pas; elle a entraîné les chambres, les ministères, l’administration, et, depuis sept ans, il semble que la principale préoccupation de notre pays soit d’écraser le clergé, qu’on a déjà si fortement pressuré. Que les révolutionnaires de province, que les membres du conseil municipal de Paris, lesquels ne voient point au-delà, les uns des frontières de leur arrondissement, les autres des fortifications et de la banlieue, continuent avec le calme d’une bonne conscience cette sotte et coupable campagne, on se l’explique sans peine; mais ce qui est inexplicable, et surtout inexcusable, c’est que le gouvernement, dont le devoir est de jeter quelquefois les yeux sur l’Europe, ne se décide point