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Barodet, c’est-à-dire de la rupture des radicaux avec l’homme dont l’autorité seule en ce moment pouvait sauver les institutions républicaines. Plus tard, après l’échec des entreprises monarchiques, quand les républicains, arrivés au pouvoir à force de sagesse, n’avaient point encore oublié qu’ils devaient le garder par le moyen avec lequel ils l’avaient acquis, les encouragemens de l’Allemagne sont devenus plus tièdes. On n’en entendait même plus parler. Mais on a inauguré la politique violente, on a bouleversé le pays; les modérés se sont mis à la remorque des radicaux, ils se sont résignés au dedans à toutes leurs fantaisies; au dehors, pour leur plaire, ils ont renoncé à défendre nos intérêts et notre honneur; les ministères sont tombés les uns sur les autres dans des crises incessantes à la suite desquelles il y avait toujours quelque ruine à déplorer, à l’intérieur et à l’extérieur. Aussitôt M. de Bismarck est réapparu, et cette fois, afin de montrer toute sa satisfaction, il est réapparu avec sa triple alliance. Décidément c’était bien la république de ses rêves : il n’y avait plus qu’à songer à la conserver. Probablement il se montrerait encore plus dévoué à nos institutions si les radicaux arrivaient directement aux affaires et gouvernaient eux-mêmes au lieu de se borner à imposer aux modérés leurs principes de gouvernement. Le jour où M. Clemenceau serait ministre, il aurait le concours de la triple alliance. On n’ignore pas qu’il aurait de plus l’Angleterre, laquelle s’est éprise de lui depuis qu’il a décidé la chambre à repousser toute action en Égypte. On cherche le moyen de nous procurer des alliés : en voilà un !

Je ne pense pourtant pas qu’il soit du goût de personne, sans en excepter les radicaux. Ils ont toujours déclaré qu’ils dédaignaient l’alliance des gouvernemens, qu’ils ne poursuivaient que celle des peuples; ils ont toujours proclamé que la république pouvait se passer des cabinets de l’Europe, pourvu qu’elle eût avec elle les nations. Et si fausse que soit leur théorie à cet égard, elle contient pourtant une part de vérité. Il est incontestable que la république, même très modérée, ne saurait manquer d’inspirer quelque répugnance aux monarchies ; en revanche, lorsqu’elle est modérée, son existence contribue aux progrès du libéralisme dans le monde entier. La France a toujours eu le don de travailler pour les autres aussi bien que pour elle-même ; jamais ce qui s’est passé chez elle n’a été étranger à ce qui se passait autour d’elle. On peut dire sans exagération que la liberté a suivi en Europe les mêmes destinées que sur notre territoire; quand elle triomphait parmi nous, elle triomphait partout ; quand l’anarchie amenait en France une réaction, cette réaction se produisait également au dehors.