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avec beaucoup d’habileté, ni si les colères violentes qu’elles ont soulevées autour de nous n’auraient pas pu être évitées. Quoi qu’il arrive, ce n’est pas sur les mers que nous serons jamais sérieusement menacés; si des tempêtes y naissent, elles ne seraient graves que le jour où elles viendraient battre les côtes de l’Europe et s’y changer en ouragan. Mais, sans sortir du continent, est-ce que l’avenir permet à la France de s’affaisser sur elle-même, et d’oublier que chaque jour les « dés de fer du destin » peuvent encore se prononcer contre elle?


II.

Avant d’aller plus loin, je ne saurais éviter une question que je me suis déjà posée ici même l’année dernière[1], mais qui n’a point encore été définitivement résolue par les faits. Faut-il faire remonter au principe même de notre gouvernement la responsabilité de la décadence extérieure de la France, ou doit-on la laisser tout entière aux hommes par lesquels nous sommes gouvernés depuis quelques années? En d’autres termes, est-ce la république qui est coupable, ou sont-ce les républicains? Sur ce point, comme sur bien d’autres, l’esprit de parti n’hésite pas. On entend sans cesse répéter par les orateurs monarchistes et par la presse monarchique que, si la France était en monarchie, aucun des malheurs que nous avons subis ne serait arrivé : nous n’aurions pas perdu l’Egypte et l’amitié de l’Angleterre; la triple alliance ne se serait pas formée; nous aurions des allies et nos adversaires n’en auraient pas. Nous sommes isolés en Europe, non pas tant à cause de nos fautes qu’à cause du déplorable gouvernement auquel nous sommes condamnés. Si cette allégation était fondée, je n’hésiterais pas à dire, quant à moi, qu’il faut renoncer à la république, car il n’y a pas de forme constitutionnelle qu’on doive préférer à la grandeur de son pays. Mais ce qui me suggère quelques doutes sur leur parfaite exactitude, c’est ce que je rappelais en commençant des catastrophes que la monarchie et l’empire ont attirées sur la France. Vous dites qu’il suffit d’être en monarchie pour avoir une bonne politique extérieure : alors, comment se fait-il que la monarchie des Bourbons, la plus ancienne, la plus glorieuse des monarchies de l’Europe, ait laissé échapper de ses mains, au XVIIIe siècle, l’admirable empire colonial qui ouvrait devant nous de si magnifiques espérances? Comment se fait-il que le premier empire, la plus nouvelle, mais la plus éclatante des monarchies, ait conduit la France

  1. Voir l’étude sur la République et les Intérêts français en Orient dans la Revue da 15 septembre 1882.