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compromettent, en franchissant la frontière, non-seulement les intérêts, mais l’honneur de notre pays. On se donne à Paris le plaisir de monter au Capitole dans l’espoir de passer directement de là au ministère, et l’on ne s’aperçoit pas qu’au dehors il y a des gouvernemens qui, ne voulant et ne pouvant s’allier qu’à des nations sûres du lendemain, s’éloignent aussitôt d’un pays où, de son propre aveu, le pouvoir est sans cesse à la merci d’un complot ! Et l’on ne fait pas attention qu’après avoir fait étalage de la faiblesse de sa politique extérieure, faire étalage de l’instabilité de ses institutions intérieures, est le comble de l’imprudence et de la folie ! Et l’on ne se rend pas compte enfin qu’infliger à la république, dans l’intérêt d’une intrigue parlementaire et d’une compétition de portefeuilles, la honte de la protection de l’étranger est lui porter le coup le plus terrible que jamais elle ait reçue, que jamais elle puisse recevoir !

Qu’on ne m’accuse pas d’exagération. Les Français qui ne sortent jamais de France portent d’un cœur léger la responsabilité de nos fautes politiques, parce qu’ils n’ont pas la sensation directe du mal qu’elles font à notre pays. Or les Français, comme on sait, voyagent peu; ils sont très sédentaires; et, chose triste à dire! ils le deviennent d’autant plus qu’ils touchent de plus près aux affaires publiques. Une fois qu’un homme s’est consacré à la vie parlementaire, c’est fini : son horizon est circonscrit aux couloirs des chambres et aux étroites limites des collèges électoraux. Tout ce qui ne retentit pas dans ces petits milieux ne lui est de rien. Tout ce qui dépasse les frontières rétrécies de son intelligence et de son activité le laisse froid. Les grands événemens du monde ne l’intéressent que par l’écho fort affaibli et fort dénaturé qui en arrive parfois dans ces cercles fermés. Heureux encore s’il se donne la peine de les écouter! C’est de là que provient notre grande infériorité politique par rapport à des peuples à tous autres égards moins bien doués que nous, les Anglais par exemple, qui n’ont ni la promptitude de notre esprit, ni notre génie administratif, ni notre souplesse de caractère, ni notre habileté à nous accommoder de toutes les situations. La plupart de nos hommes d’état se sont formés à Paris ou dans leurs provinces, et n’en sont jamais sortie. Avant de prendre part aux affaires publiques, presque tous les Anglais, au contraire, parcourent le globe, où ils trouvent à chaque pas le témoignage éclatant de la noblesse de leur race et de la grandeur de leur nation. Ils en reviennent fiers de l’Angleterre, résolus à la maintenir coûte que coûte au niveau où l’ont élevée leurs ancêtres, instruits de ses droits, de ses intérêts, des moyens à prendre ou à conserver pour les garantir. Si les Français suivaient cet exemple, eux aussi rentreraient de leurs longues courses émerveillés de la puissance d’extension de la France, éblouis de la place