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et le discours qu’il avait prononcé en faveur du renouvellement du privilège de la Banque des États-Unis lui avait concilié les sympathies du monde des affaires. Quoiqu’il n’eût jamais fait preuve de talens supérieurs, on s’accordait à vanter son habileté dans le maniement des hommes. Il possédait à un haut degré les qualités et les défauts du politicien : la persévérance, la souplesse, l’esprit d’intrigue et l’absence de scrupules, qui firent dans la génération suivante la fortune de plus d’un homme politique américain.

Le contraste était complet entre le secrétaire de la trésorerie et son collègue le secrétaire d’état J. Q. Adams. La candidature de ce dernier avait pour elle la coutume, constamment suivie depuis Jefferson, d’appeler à la présidence le secrétaire d’état en exercice. Elle se justifiait d’ailleurs par des titres personnels incontestables. Sorti d’une vieille famille du Massachusetts, fils du successeur de Washington, J. Q. Adams avait religieusement conservé l’esprit des puritains de la Nouvelle-Angleterre et les traditions des fondateurs de la république américaine, li avait représenté les États-Unis auprès des principales cours de l’Europe, dirigé avec succès les relations extérieures sous la présidence de Monroe et déployé, notamment, une rare habileté dans les difficiles négociations qu’il avait eu à suivre avec l’Espagne. Ou rendait hommage à la dignité de sa vie, à l’élévation de son caractère, à l’autorité de sa parole. Mais il ne possédait pas, et il affectait de dédaigner les dons qui captivent la popularité. Austère dans sa vie privée comme dans sa vie publique, défiant et soupçonneux, il jugeait les événemens et les hommes avec une impitoyable rigueur, dont le journal qu’il a tenu pendant plus de cinquante années a conservé à la postérité l’irrécusable témoignage[1]. Il avait l’horreur de la corruption et de l’intrigue, et, en soumettant sa vie au jugement de ses concitoyens, il entendait mériter leurs suffrages sans les solliciter ni les séduire.

Le plus jeune des candidats était le secrétaire de la guerre Calhoun, alors âgé de quarante-deux ans. Il passait pour être l’objet des secrètes préférences du président Monroe. Ses services pendant la guerre avec l’Angleterre, le patriotisme et l’esprit de décision dont il avait fait preuve dans des conjonctures difficiles avaient rendu son nom populaire dans la marine et dans l’armée. Le Sud tout entier l’acclamait comme son plus ferme défenseur et le plus brillant interprète de ses aspirations, bien qu’il n’eût pas mis encore au service des passions esclavagistes cette inflexible logique.

  1. Memoirs of J. Q. Adams, comprising portions of his diary from 1795 to 1848, ed. by C. F. Adams. 12 vol. Philadelphie, 1876.