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Les républicains répètent chaque jour qu’il n’y a rien de semblable à craindre, que ces incidens de Frohsdorf et de Goritz ont trouvé l’opinion indifférente, que la république est plus que jamais enracinée dans le pays. Soit ; mais alors à quel propos invoquerait-on les raisons d’état, et tirerait-on si complaisamment du fourreau toutes les armes discrétionnaires pour la défense d’une république qui n’est pas en péril, contre un prince qui n’offense pas les lois, qui se borne à rester ce qu’il est devant le pays comme devant l’Europe ?

De cette éventualité de monarchie qui vient de reparaître dans un deuil, il en sera ce que les événemens décideront, ce que l’avenir voudra, et ce n’est pas dans tous les cas un décret de bannissement qui empêcherait ce que les circonstances auraient préparé, ce que d’irréparables fautes pourraient seules rendre possible aujourd’hui. Ce qu’il y aurait de mieux pour le moment, si l’on veut donner à la république la vie et la durée qu’on lui promet, serait de chercher une sauvegarde non dans des menaces qui n’ont jamais rien garanti, mais dans une prudente et intelligente administration des affaires de la France. Ce qu’il y aurait de plus sûr, ce serait de bien gouverner, de s’occuper utilement du pays, de lui assurer le repos intérieur par l’équité, la paix extérieure par la vigilance, au lieu de se complaire sans cesse dans ces déclamations qui sont le fonds invariable de l’éloquence officielle. Ce ne sont pas, en effet, les discours qui manquent aujourd’hui, par cette saison d’automne, où les membres du gouvernement profitent des vacances pour aller figurer dans les banquets de province, dans les comices ou aux inaugurations de statues, semant sur leur passage des harangues de tous les genres. M. le ministre des travaux publics se promène en homme heureux de ses succès, dans les Pyrénées et dans la Gironde, parlant de chemins de fer, de ports et de canaux. M. le ministre de l’agriculture fait dans les Vosges des discours aimables et instructifs sur les intérêts agricoles dont il a la protection : il est dans son rôle. M. le ministre de l’intérieur, à défaut de M. le président du conseil qui est au repos, représente, quant à lui, dans le concert officiel du moment la grosse fanfare politique, l’éloquence nuageuse et prétentieuse. M. Waldeck-Rousseau est sans doute un homme de mérite ; il ne s’aperçoit pas seulement qu’il a toujours l’air de promulguer l’évangile du « gouvernement fort, » qu’il a inventé après M. Gambetta. Il a fait, lui aussi, son voyage ; il est allé l’autre jour inaugurer la statue de Lafayette au Puy, et il n’a pas laissé échapper l’occasion de prononcer un de ces discours qui sont un mélange de suffisance, d’histoire équivoque, de politique ambitieuse, et d’emphase un peu banale.

Ce n’est pas la première fois que M. Waldeck-Rousseau parle dans ses discours de gala de la révolution française, qu’il prétend continuer