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susceptibilités, et notre politique coloniale s’affirmer d’autant plus qu’elle provoque l’irritation de ces journaux qui, si plaisamment parfois, se constituent nos conseillers et les arbitres de la sagesse de cette politique ?

Tout d’abord l’écrivain anglais s’étonne, et non sans raison, de la persévérance de nos efforts dans le Levant et surtout en Syrie. Depuis les temps fabuleux où Charlemagne envoyait jusqu’à Bagdad une ambassade spéciale au calife Haroun-al-Raschid pour recommander à sa sollicitude paternelle les chrétiens du Liban et des saints lieux, jusqu’à nos jours, tous les gouvernemens qui se sont succédé en France, n’ont jamais cessé de prétendre à une influence prépondérante sur les destinées de la Syrie. Dans des chartes solennelles dont il rappelle les dates, — saint Louis, François Ier, Henri IV, Louis XIV, et jusqu’à Louis XV, — déclarent que les Maronites, les chrétiens du Liban, font partie intégrante de la nation française. « La convention elle-même, au moment où, en France, elle envoyait nobles et prêtres à l’échafaud, ordonnait à ses agens de couvrir les nobles et les prêtres de la nation maronite de la protection dont ils avaient joui jusqu’alors, et Bonaparte, pendant qu’il assiégeait Saint-Jean-d’Acre, envoya son secrétaire saluer les Maronites « comme citoyens français depuis un temps immémorial. » Après Bonaparte, la politique française, dans ces pays, reste invariablement la même. Les événemens qui se rapportent à cette période récente sont connus de tous ; il est inutile de les rappeler en détail. « Sous Louis-Philippe, sous Napoléon III, cette politique, dans ses phases diverses, n’a été que le développement logique et consistent (un mot anglais de haute valeur) de celle que leurs prédécesseurs leur avaient léguée. Son but essentiel était celui qu’ils avaient poursuivi : donner un point d’appui inébranlable à l’influence française en fortifiant la situation de leurs protégés maronites et en s’efforçant de leur conquérir la suprématie incontestée dans la montagne. » Après les événemens de 1860, ce but eût été atteint sans l’habile intervention de l’Angleterre, alors représentée, comme naguère en Égypte, par lord Dufferin. Mais la persévérance française ne s’est pas lassée ; plus que jamais, elle est prépondérante dans le Liban. Encore si c’était tout ; hélas ! l’écrivain anglais constate avec tristesse l’adhésion récente à notre politique des Ansariyehs et des Métualis, deux tribus de sectes musulmanes dissidentes que les intrigues de notre consul-général ont séduites, et, comme de juste, non-seulement il se plaint de pareilles intrigues, mais il les signale à qui de droit : caveant consules.

Que telle ait été depuis dix siècles la politique de notre pays, toujours active, toujours vigilante, et, par une bonne fortune trop