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drapeau turc qui les couvre encore de son ombre, ces remparts sont déjà écroulés, et partout, à leur place, l’activité des marchands européens élève des magasins, des comptoirs, des théâtres. De leurs dômes massifs, ide leurs minarets élancés, les masquées, où se hâtent encore les croyans, dominaient naguère les maisons basses et pressées des quartiers populeux et leur imprimaient ce cachet essentiel des villes orientales, dont la vie même est leur foi religieuse. Dômes, minarets disparaissent peu à peu derrière les hautes maisons européennes en construction ; bientôt on les cherchera du regard sans les trouver. Autour de ces mosquées s’étendent encore, dans un inextricable dédale, ces bazars, centres actifs autrefois de l’activité de toutes ces races qui peuplent la ville sans s’y confondre ; dans leurs échoppes sordides s’étalaient les créations étranges et souvent merveilleuses de l’industrie et du luxe de l’Orient : la Perse y envoyait ses tapis. Brousse ses soies aux broderies de fées, Damas ses armes étincelantes, le Liban ses plateaux et ses vases ciselés ; ces bazars sont vides et presque déserts. Paris et Londres les emplissent seuls de leurs produits vulgaires et à bon marché. Montons plus haut : les villas des riches marchands européens, avec leurs jardins ombreux, leurs terrasses pleines de fleurs, se groupent autour du consulat de leur nation, dont l’enceinte, asile inviolable, est signalée au loin par le drapeau national de la puissance européenne dont il défend plus que les droits, les privilèges. Plus haut encore, les églises de toutes les communions chrétiennes, les clochers de leurs chapelles, les arceaux de leurs monastères et de leurs couvens proclament la liberté religieuse, conquise peut-être par cette charité plus qu’humaine qui a créé ces hospices, ces ouvroirs, ces orphelinats, annexes obligées de ces couvens et de ces monastères. Plus haut, plus haut encore, dominant la ville, la rade, la plaine, le pays tout entier, l’école catholique de Notre-Dame-de-Génézareth, le collège catholique des jésuites, profilent dans l’azur du ciel les lignes nettes et tranchées de leurs grandes façades, des deux ailes en retour et du clocher massif qui les complètent. Constructions récentes, sans prétentions architecturales, imposantes seulement par leur masse et l’étendue des terrains qu’elles occupent, on les sent faites pour résister aux assauts du temps, pour défier les tempêtes plus redoutables des passions humaines, pour durer, en un mot ; pensée et espérances profondes qui valent que ceux-là s’y associent, libres penseurs ou croyans convaincus, qui ne veulent pas désespérer de nos sociétés troublées. Pour ceux d’entre eux, en effet, qui ont visité l’église et les cellules des pères, les salles d’étude, les cabinets de physique et de chimie, les laboratoires, — que leur envierait