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surtout, est fait de patience. Qui sait, si dans quelques années, à défaut de la force qui lui manque à l’heure présente, ce génie italien, fait d’habileté diplomatique autant que de patience, n’aura pas réalisé, en partie du moins, en profitant surtout des fautes de ses adversaires, ce programme des conquêtes au dehors, pacifiques ou guerrières, que seules peut-être notre vanité nationale, notre incurable ignorance de l’étranger nous font regarder comme chimériques ?


III

Les événemens accomplis depuis 1871 ont sanctionné le nouvel équilibre européen, ou mieux l’état de choses politique que les victoires des armées allemandes et la volonté de M. de Bismarck ont imposé au monde. En ce qui touche l’Italie et la France, leur force expansive a été arrêtée net vers le nord. Comme devant ces rochers qui voient se briser à leurs pieds les flots de l’Océan, soulevés aux vents des tempêtes, devant l’impassible fermeté du chancelier de fer, l’une a dû renoncer aux rêves de l’Irredenta dans le Tyrol et le Triestin, l’autre à ces chères espérances qui se résument dans un seul mot : « la revanche. » — Refoulées vers le sud, toutes deux ne peuvent avoir pour champ d’activité extérieure, en Europe du moins, que ce vaste bassin de la Méditerranée dont Rome avait fait le centre du monde antique, dont Napoléon Ier avait rêvé de faire un lac français. L’Italie se porte l’héritière de Rome. La France n’a jamais renoncé au rêve de celui qui, un moment, éleva si haut la gloire et la puissance de son nom ; elle en a au contraire poursuivi la réalisation avec une persévérance qui est l’honneur de tous les gouvernemens si divers qui l’ont régie. Qui niera que cette rivalité, que la raison des choses a créée entre les deux peuples, pèse d’un grand poids sur les esprits des hommes d’état italiens ? — Leurs craintes secrètes ou avouées, leur défiance jalouse de la France, n’ont peut-être pas d’autre cause ; en tout cas, c’est la cause toujours agissante depuis la reconstitution de l’unité italienne. Le malheur est que cette rivalité s’impose fatalement.

Pour les peuples modernes, être condamné à s’agiter à l’intérieur, sans expansion au dehors, c’est être condamné à la mort lente peut-être, mais certaine. Evoquant les souvenirs du passé, et devant les sombres perspectives de l’avenir, même avant 1870, un écrivain prophétique, — vox clamans in deserto, — s’écriait dans un élan de patriotisme : « Puisse-t-il venir bientôt, ce jour où nos concitoyens, à l’étroit dans notre France africaine, déborderont sur le Maroc et sur la Tunisie et fonderont enfin cet empire méditerranéen qui ne