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Et le courageux et patriotique écrivain conclut ainsi cette étude, où le talent le dispute au patriotisme :

« Les conditions présentes de la défense nationale nous condamnent à éviter à tout prix l’action tactique, à manager la flotte, à laisser nos cités découvertes et sans défense. Mais nous, arrivés à cette désolante conclusion, nous devons, en attendant des temps meilleurs, nous demander quelles forces navales sont nécessaires pour empêcher le bombardement ; aujourd’hui, cette question n’admet pas de solution concrète, et, partant des mêmes bases, on pourrait arriver aux conclusions les plus opposées. Pour étudier un problème aussi complexe et aussi confus que celui qui se pose dans une bataille contre des forces supérieures, il faut faire provision d’enseignemens historiques et se persuader que le secret de la victoire du faible contre le fort est presque tout entier dans la supériorité morale et organique du premier sur le second. En attendant que l’expérience nous fournisse la donnée tactique et technique que nous lui demandons, en attendant que le développement de la richesse économique nous offre la possibilité de donner à la flotte l’augmentation qui la mettra en mesure de satisfaire à la défense du pays, préparons la fonction morale et organique, car c’est d’elle plus que d’aucune autre que dépendra le succès de nos armes sur mer, si par désespoir ou par erreur, nous sommes forcés de tenter la fortune contre un ennemi plus fort. »

Ces conseils vont plus loin que ceux à qui les adresse le vaillant officier qui a eu le rare courage de dire la vérité à son pays au moment où ses espérances patriotiques étaient le plus exaltées. La France peut en prendre la part qui lui revient ; puisse-t-elle ne pas s’endormir une fois de plus dans une trompeuse sécurité et marcher, elle aussi, dans la voie droite et féconde de ces progrès constans, qui, seuls, peuvent lui garder la supériorité incontestée, mais éphémère, si elle n’avise, de sa flotte de guerre sur celle d’une nation qu’elle voudrait pour amie, mais qui, obéissant peut-être à de secrets instincts, semble condamnée à rejeter toutes ses avances[1]. Cette supériorité d’ailleurs est fonction d’autres élémens que la bravoure et la valeur professionnelle de ses marins, le nombre et la puissance de ses flottes de combat, — l’écrivain dont nous avons cité les éloquentes et courageuses paroles, en appelle au temps, au développement de la richesse économique de son pays ; — le temps est galant homme, et le génie, — le génie italien

  1. Méditer à ce sujet les conclusions de l’étude déjà citée : Maris imperium obtinendum.