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loi de 1835, comme dans notre ancienne France avant la révolution ; et ce ne serait avoir eu l’air de fermer une porte que pour en rouvrir une autre, et plus grande. Et puis, comme l’a fait observer un ancien procureur général de la cour de cassation, nos tribunaux n’ont déjà que trop de tendances, en pareille rencontre, à se constituer plutôt en vengeurs de la morale qu’en interprètes impassibles de la loi. La morale est une chose, le droit, — j’entends le droit positif, — en est une autre ; et peut-être aussi le droit naturel lui-même. Le mieux ne serait-il pas d’adopter ici l’esprit de la législation anglaise ; et, sinon de fixer un maximum, au moins de poser en principe que la pension à payer se calculerait toujours sur la condition de la mère ?

C’est aussi bien ici que les jurisconsultes interviendraient et recouvreraient l’intégrité de leur titre. Il est en effet probable, il est même à peu près certain que, l’ensemble de nos lois formant une espèce de système, chacune de ces dispositions réagirait sur des textes avec lesquels ce n’est pas notre affaire que de connaître leur liaison secrète. Il y aurait donc lieu d’examiner d’abord si quelqu’une d’entre elles n’atteindrait pas des intérêts réputés pour plus considérables que ceux mêmes qu’il est question de protéger. Il y aurait lieu d’examiner encore si, de conséquence en conséquence, elle ne mènerait pas à des modifications profondes, et d’abord imprévues, de toute une vaste matière. Il y aurait lieu de chercher enfin, pour les introduire dans l’usage, des formules assez précises, assez restrictives surtout, pour que l’on ne leur donnât pas une portée qu’elles ne doivent pas avoir. En pareille matière, trouver le juste accord de la forme et du fond, et concilier ensemble ces deux choses ennemies : la tradition et la réforme, ce ne sera pas, je pense, « mépriser » les jurisconsultes que de dire qu’ils ont été créés pour cette tâche, tout justement. Mais on conserverait dans nos lois le salutaire principe de l’interdiction de la recherche de la paternité. La condamnation du séducteur en des dommages-intérêts n’équivaudrait en aucun cas à une déclaration de paternité ; l’enfant naturel ne prendrait le nom et ne succéderait aux biens de son prétendu père que si celui-ci consentait à s’en avouer l’auteur, dans les formes consacrées pour la reconnaissance ou la légitimation des enfans nés hors mariage ; l’article 340 enfin subsisterait dans sa force, pour toutes les raisons qui jadis en ont dicté la dure formule, et, si dure qu’elle soit, ne semblent pas avoir cessé de la justifier.

Toute autre disposition, au surplus, ne serait-elle pas plutôt inspirée de je ne sais quel esprit de vengeance, ou même d’égoïsme inavoué que de justice et d’équité ? de vengeance, nous l’avons vu, comme quand on propose de condamner le coupable marié jusqu’en deux et cinq ans de prison, au détriment de la femme et de l’enfant