Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire auxquels ne répondent certes pas, de la part de nos semblables, autant de devoirs actifs. Il est évident que j’ai le droit de travailler, mais il est non moins évident que je ne puis l’exercer qu’autant que l’occasion s’en offre, et il est encore plus évident qu’il ne crée le devoir à personne de me donner du travail. On m’en donne si l’on peut, et je l’accepte si je veux. C’est qu’en effet l’impossibilité, pour une personne déterminée, de me donner du travail, résulte, ou du moins est censée résulter, — et, dans la pratique, c’est absolument la même chose, — de l’obligation qu’elle a de satisfaire à d’autres droits d’abord et de remplir d’autres devoirs. Dans une société civilisée, le droit positif de chacun sort, pour ainsi dire, de l’abandon qu’il fait d’une part de son droit naturel. Peut-être même est-ce là ce qui distingue essentiellement la civilisation d’avec la barbarie. Un Canaque jouit de son droit naturel dans une presque entière plénitude ; un Français du XIXe siècle y rencontre à chaque pas des restrictions dans le droit positif. Et quiconque de nous prétendrait en user autrement, c’est-à-dire revendiquer l’intégrité de son droit naturel, celui-là se mettrait hors de la société civile, et en guerre déclarée contre elle.

Nous touchons ici le fond de la question. Les droits que tout homme apporte en naissant, l’enfant naturel, incestueux ou adultérin, les apporte, aussi lui, dans le monde ; et rien n’est plus certain. Il n’est pas non plus douteux qu’il y ait pour son père obligation naturelle, comme on dit, de pouvoir à ses premiers besoins, de l’entretenir, de l’élever, de le mettre en état de vivre, et manquer à ce devoir est sûrement d’un malhonnête homme. Reste seulement à rechercher pourquoi la loi n’a pas voulu convertir cette obligation naturelle en obligation civile, et tenir elle-même la main à l’exécution de ce devoir. Or nous le savons. C’est parce qu’elle a jugé qu’il y avait des intérêts sociaux supérieurs à celui de l’enfant naturel, et elle a ainsi jugé parce qu’elle a vu que toute sollicitude qu’elle témoignerait à l’enfant naturel serait une atteinte au droit de l’enfant légitime, c’est-à-dire une atteinte, et une atteinte profonde, au mariage. Et en faut-il tout de suite un exemple éclatant ? Nous pouvons le demander à M. Dumas lui-même. M. Dumas n’a pas trouvé que la proposition de loi de M. Rivet fût assez radicale ; et, vers la fin de sa brochure, il a dressé les articles de celle qu’il lui faudrait. J’en copie le second : « Si l’homme qui sera reconnu père d’un enfant qu’il aura abandonné à la charge de la mère est marié, et dans l’impossibilité de donner son nom ; s’il est pauvre et dans l’impossibilité de fournir à l’enfant les moyens d’existence nécessaires, il sera condamné à un emprisonnement qui pourra être de deux à cinq ans, deux ans étant le minimum. » M. Dumas nous dira-t-il ce