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raisons que l’on donnerait, qu’il importe à la société que les enfans naturels soient reconnus, il importerait assez peu que la recherche de la paternité risquât de déplacer les fortunes, puisque aussi bien il paraît que la mobilité même des fortunes est le principal ressort du progrès dans les démocraties. Et pourtant, même en ce cas, comme il n’y a guère d’intérêts matériels qui ne soient, tout considéré, figuratifs ou représentatifs de quelque intérêt moral, il serait dur à un père de n’avoir peiné quarante ou cinquante ans de sa vie que pour l’enrichissement d’une courtisane habile, et plus dur à une mère de n’avoir pris vingt ans plaisir à former un fils que pour le voir s’acoquiner aux jupons d’une drôlesse. Dans une certaine bourgeoisie et dans un certain peuple, que ne connaissent assez ni les romanciers ni les auteurs dramatiques de Paris, il y a un honneur ou une honorabilité du nom, auxquels on ne tient pas moins que dans les plus fières aristocraties, et il y a surtout des contacts qu’une vie entière d’honnêteté répugne invinciblement à subir.

Ne sont-ce pas là de graves intérêts, qui n’ont de matériel que l’apparence, et qu’une loi sur la recherche de la paternité ne saurait guère éviter de compromettre gravement ? Ni les voies de transmissibilité des fortunes, ni l’utilisation du capital social que représente l’éducation d’un homme, ni le prix qu’il convient d’attacher à l’honorabilité, à l’intégrité, à la pureté du nom, ni même peut-être enfin la concorde et l’union des familles ne sont objets, selon nous, que le législateur puisse entièrement laisser à la merci des combinaisons de l’intrigue et de la cupidité. Si l’on veut qu’il se relâche de la protection dont il les couvre, il faut au moins y faire valoir de très fortes raisons. A défaut de tous ceux que nous venons de rappeler, quels sont donc les intérêts urgens et considérables que sauvegarderait la loi que l’on demande ? On répond que ce seraient en tout cas les intérêts des femmes.


IV

Qui ne croit pas beaucoup aux séducteurs de profession ne peut pas croire beaucoup non plus aux filles séduites. « Il n’y a pas une fille de la ville ou de la campagne qui, en se livrant à un homme, nous dit ici M. Dumas, ne soit au courant des conséquences possibles, moralement et physiquement, de l’acte qu’elle commet. Ce sont même ces conséquences qui la font hésiter plus ou moins longtemps… Quoi qu’elle dise après, soit qu’elle réclame devant la justice, soit qu’elle jette du vitriol au visage de son amant, soit qu’elle ait tout bonnement tordu le cou à son enfant, elle savait parfaitement avant quels risques elle allait courir. » C’est aussi notre