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recherches les plus pénétrantes de sa raison,.. et le mariage étant établi pour donner à la société non pas la preuve matérielle, mais, à défaut de cette preuve, la présomption légale de la paternité, il est évident, lorsque le mariage n’existe pas, qu’il n’y a plus ni signe matériel, ni signe légal ; .. et il est en même temps injuste et insensé de vouloir qu’un homme soit convaincu malgré lui d’un fait dont la certitude n’est ni dans les combinaisons de la nature, ni dans les institutions de la société[1]. »

On rabattra ce que l’on voudra de cette éloquence emphatique à peu près ce qu’il faut rabattre aussi de la violence déclamatoire de nos partisans de la recherche de la paternité. Chaque siècle a son jargon. Le temps n’est pas si loin où l’on sourira du nôtre, comme nous sourions déjà de celui qu’ont parlé nos pères. Mais, sous le jargon et sous l’emphase, on ne fera pas qu’il ne leur parût aussi redoutable qu’évident, ce danger social où prétendaient parer les rédacteurs du code, quand ils décidèrent d’interdire la recherche de la paternité. La preuve d’ailleurs que leur opinion était bien celle de toute la magistrature d’alors, c’est l’empressement avec lequel tous les tribunaux de l’empire opposèrent à dater de ce jour l’article 340 à toute tentative, plus ou moins habilement déguisée, de recherche de paternité. Et une preuve que cette opinion ne leur était pas si particulière, c’est que, parmi les législations étrangères qui souffrent aujourd’hui la recherche de la paternité, nous voyons que la législation anglaise, jadis conforme sur ce point à la nôtre, s’est précisément efforcée, dans le siècle où nous sommes, par deux actes, l’un de 1835 et l’autre de 1872, de restreindre autant que possible cette recherche même, et d’attribuer si peu d’effets à son succès en justice qu’en vérité c’est à bien peu de chose près comme si elle ne l’admettait pas. En Angleterre, quand le père putatif a été condamné par le juge de paix à payer à la mère une somme qui ne peut en aucun cas dépasser vingt-deux francs par mois, jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de treize ans, et encore à condition que la mère soit dépourvue de toutes ressources, l’action a produit tout ce qu’elle peut produire de résultats utiles. L’enfant ainsi « reconnu » ne peut ni porter le nom de son père, ni prétendre un shilling de sa fortune, ni lui succéder en aucun état de cause, ni même être légitimé par un mariage subséquent. Il y faut, à ce qu’il paraît, un acte du parlement. Est-ce bien là, quand ils nous rebattent les oreilles de ce qui se fait ailleurs qu’en France, est-ce bien là ce que demandent, et de quoi se contenteraient les partisans de la recherche de la paternité ?

  1. J’emprunte les textes à une intéressante Étude sur la Recherche de la paternité, par MM. P. Coulet et à Vaunois. Parie, 1880 ; Marescq aîné.