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nécessaire au salut de la république ; qu’au contraire la terreur avait créé la plupart des obstacles dont on lui attribue le renversement ; que ceux qu’elle n’a pas créés auraient été surmontés d’une manière plus facile et plus durable par un régime juste et légitime ; en un mot, que la terreur n’avait fait que du mal, et que c’était elle qui avait légué au directoire les dangers qui le menaçaient de toutes parts[1]. Il faut séparer, dans l’histoire de l’époque révolutionnaire, ce qui appartient au gouvernement, les mesures qu’il avait le droit de prendre, d’avec les crimes qu’il a commis et qu’il n’avait pas le droit de commettre. Loin d’avoir constitué un esprit public, la terreur a rendu le peuple indifférent à la liberté et lui a inspiré l’admiration de la force.

Telle était, dès 1798, l’opinion des libéraux. Adrien de Lezay, qui n’était pas un jacobin, avait espéré apaiser les passions soulevées. Il ne réussit pas. La valeur de l’écrivain n’en fut pas diminuée. Ses contemporains le rangeaient comme publiciste au nombre de ceux qui remuent des idées et qui laissent à penser encore plus qu’ils ne disent. La loi de fructidor an V l’obligea de sortir de France parce qu’il n’était pas rayé de la liste des émigrés. Il se rendit en Suisse ; Rœderer assure qu’il s’y fit aimer du parti français. Il composa et publia un projet de constitution pour la république helvétique. Mme de Staël, infatigable de dévoûment, lui fut utile dans son exil. Quand le 18 brumaire arriva, le premier consul accorda à Adrien de Lezay ce qu’on appelait, en style de police, une surveillance. De retour à Paris, une méprise des agens de la sûreté le fit conduire au Temple ; ses papiers furent saisis ; mais il fut rendu à la liberté par l’intervention directe de Joséphine, dont il était l’allié par les Beauharnais. Il reprit ses visites dans le salon de Mme de Staël, dont l’hostilité contre Bonaparte commençait à poindre, et dont il avait reçu ce billet : « Je ne voudrais rien faire que votre noble caractère pût désapprouver, mon cher Adrien ; et le désir de conserver votre estime me servirait de guide si mes propres lumières me manquaient. » Il reprit surtout ses assiduités chez Mme de Beaumont.

Les plus longues apparences d’oubli (elle l’avouait) ne l’avaient jamais désintéressée de cet homme très remarquable. « Il parle dignement de votre héros, de Bonaparte, écrivait-elle à Joubert : il le fait admirer. C’est une autre manière de voir que Fontanes, mais c’est le même résultat : grandeur et justesse. » Jusque-là, elle ne s’était expliqué les visites quotidiennes de Lezay que par son désœuvrement ; mais il fallut bien se rendre à l’évidence. « Je

  1. De la Politique constitutionnelle, édition Laboulaye.