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les mœurs ! À cette allure nerveuse, à ce langage, hardi et cru, on ne pouvait se méprendre, pas plus qu’aux meurtrissures de la façade des Tuileries et aux inscriptions gravées par le 10 août. Quand Chateaubriand même, cinq ans après, entra à pied dans Paris, il lui sembla qu’il descendait aux enfers, tant l’émotion était encore poignante !

Mme de Beaumont ne séjourna pas plus de six semaines au milieu de ces ruines. L’hôtel Montmorin avait été pillé. Il ne restait debout dans le jardin qu’un cyprès planté par elle à quatorze ans. Elle se plaisait, plus tard, au cours de ses infinies tendresses pour René, à le lui montrer en se promenant vers les Invalides. C’est à ce cyprès, dont il connaissait seul l’origine et l’histoire, qu’à son premier retour de Rome, prêt à repartir pour le Valais, il alla faire ses adieux.

La joie de Mme de Beaumont, dans ce court séjour à Paris fut de retrouver Fr. de Pange et Mme de Sérilly. A peine sa cousine avait-elle recouvré sa liberté qu’elle était citée comme témoin dans le procès intenté par la conscience publique révoltée à Fouquier-Tinville. Depuis que le club des Jacobins avait été fermé, les imaginations peu à peu se rassuraient. La bourgeoisie, exaspérée contre la terreur, était d’autant plus lasse de la rude domination des conventionnels qu’elle avait acclamé la révolution. La majorité de l’assemblée eût voulu punir les députés les plus féroces qui l’avaient opprimée ; mais, suivant le mot de Mme de Staël, elle traçait la liste des coupables d’une main tremblante, craignant toujours qu’on pût l’accuser elle-même des lois qui avaient servi de justification ou de prétexte à tous les crimes. Les sympathies qui accueillirent Mme de Sérilly lui permirent de rentrer immédiatement dans ses biens. Elle reprit possession du château de Passy et vint l’habiter avec François de Pange. Ils se marièrent et prirent avec eux Mme de Beaumont, en attendant qu’elle obtînt la mainlevée du séquestre de Theil. Elle lia les hôtes de Passy avec Joubert. L’esprit austère de Fr. de Pange ne lui eût pas été sans utilité. Son imagination se trouvait contrainte dans son commerce et n’osait pas se livrer à tous ses caprices. « M. de Pange veut qu’on marche, et j’aime à voler ou du moins à voleter[1]. »

Sa lettre du 26 avril 1795 allait trouver Mme de Beaumont à Paris. Elle était tout entière au passé sanglant, recueillant des informations, écoutant les récits d’anciens serviteurs. Riouffe, l’ami des girondins, venait de publier ses Mémoires d’un détenu, ils avaient produit dans le public une vive sensation. Aucun ouvrage de ce genre n’avait été écrit avec le même talent. Le succès des Prisons, de

  1. Lettre du 26 avril 1795.