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et qui nous viennent des tombes de Préneste ; il lui semblait reconnaître, le long de la paroi latérale, les batailles des Rutules et des Troyens ; sur la plaque du couvercle, il voyait Énée présentant au vieux roi latin les dépouilles de Turnus, qu’il vient de tuer, Lavinia, qu’on va remettre aux mains de son mari, tandis qu’Amata, sa mère, s’enfuit furieuse pour se dérober à ce mariage. C’est tout à fait le sujet de l’Enéide, et comme M. Brunn suppose que cette œuvre d’art est antérieure à la première guerre punique, il admet que la légende était dès lors fixée dans ses moindres détails, et que Virgile n’a fait que traduire exactement des fables populaires qui existaient plus de deux siècles avant lui. Par malheur, l’explication de M. Brunn est aujourd’hui fort contestée, et l’on se demande si le coffret n’appartient pas à une époque plus récente, ou si le sujet qu’il représente est bien celui que M. Brunn a cru voir. Mais, en revanche, depuis l’époque où M. Brunn plaçait, par erreur peut-être, les aventures d’Énée sur la Cista prœnestina, on les a trouvées, cette fois d’une manière indubitable, dans une tombe romaine. En 1875, des fouilles furent entreprises par une société italienne à l’extrémité de l’Esquilin, dans l’espace qui s’étend entre Sainte-Marie-Majeure et le petit monument qu’on appelle le temple de Minerva medica. — Là passait une des routes importantes de Rome, celle qui menait à Préneste, Le long des voies romaines on est toujours sûr de trouver des tombeaux : un de ceux qu’on a fouillés contenait des fresques qui malheureusement ont beaucoup souffert, lorsqu’au IIIe siècle, la coutume d’ensevelir les morts ayant remplacé celle de les brûler, des réparations furent faites à la tombe pour l’accommoder à ce nouvel usage. Cependant, ce qui reste des peintures est suffisant pour qu’on puisse très nettement en saisir le sujet. C’est l’histoire des origines de Home depuis l’arrivée d’Énée en Italie. On le voit d’abord qui fonde Lavinium et qui combat Turnus ; on suit, dans des tableaux qui se succèdent sans être séparés les uns des autres, comme ceux qui couvrent la colonne Trajane, toutes les phases de la grande bataille livrée sur les bords du Numicius ; puis vient la fondation d’Albe par Ascagne, enfin l’histoire de Rhea Silvia et des deux jumeaux[1]. Ce qui ajoute au prix de ces peintures, c’est qu’elles doivent être contemporaines de l’œuvre de Virgile et que, comme elle ne reproduisent pas tout à fait la tradition qu’il a suivie et qu’il est vraisemblable qu’elles n’ont pas été exécutées sous son influence, elles montrent comment, autour du poète, on se figurait les événemens qu’il a chantés. Mais, quelque

  1. Ce monument a été décrit pour la première fois par M. Brizio dans son ouvrage intitulé : Pitture e sepolcri scoperti sull’ Esquilino. Le sujet a été traité de nouveau par M. Robert dans les Annales de l’Institut archéologique de Rome. J’ai suivi les explications de M. Robert.