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insignifiante, où les opinions se balancent : chose toujours grave dans des luttes électorales engagées de telle façon qu’elles prennent forcément un caractère politique, qu’un vote d’opposition contre un candidat à un conseil général est un vote d’hostilité contre le régime existant lui-même. La république n’a triomphé dans bien des localités qu’à un petit nombre de voix ; mais les chiffres, après tout, ne disent que ce qu’on leur fait dire : ils n’ont qu’une signification très limitée, souvent trompeuse. Tous les gouvernemens se sont livrés à ces calculs et se sont donné à eux-mêmes des témoignages de satisfaction, des brevets de longue vie en constatant leurs victoires de scrutin ; ils ont eu tous d’immenses majorités, parfois presque l’unanimité, — jusqu’à l’heure décisive et inattendue où ils ont tout perdu d’un seul coup ! Ils s’étaient trop fiés aux chiffres. Le fait est qu’au moment présent, en dehors de tous les calculs et de tous les bulletins de victoire électorale, ce qui domine dans le pays, c’est un sentiment croissant de fatigue et d’incertitude. Qu’on suppute des votes tant qu’on voudra, la vérité vraie, c’est que le pays déçu se lasse d’une politique qui ne répond ni à ses instincts réels ni à ses intérêts.

Oui, en dépit des déclarations vaniteuses et de tout ce qu’on lui dit pour lui démontrer qu’il est, qu’il doit être satisfait, le pays sent bien qu’on le paie de mots, que tout décroît, à commencer par cette prospérité dont il a joui pendant quelques années et dont on a si étrangement abusé. Il se défie, il s’inquiète vaguement des faux systèmes financiers, des dépenses croissantes, des profusions fastueuses, des augmentations de traitemens, des emprunts, de cette imprévoyante administration de la fortune publique dont le dernier mot est le déficit dans le budget et peut-être avant peu la nécessité de nouveaux impôts. M. le président du conseil, qui a le goût des grandes réformes, a cru sans doute se populariser en puisant à pleines mains dans le trésor pour distribuer des subventions, pour hâter la construction d’innombrables et luxueuses écoles jusque dans les hameaux : le sentiment populaire, qu’il ne s’y trompe pas, finit par s’impatienter de ces prodigalités, de ces constructions coûteuses qui ne sont le plus souvent qu’un faste inutile, ou qui dépassent les besoins auxquels on veut suffire. Les populations comprennent que ces palais scolaires de M. le président du conseil, il faudra les payer avec des emprunts et des centimes additionnels dont elles auront à porter le poids. M. le garde des sceaux, qui en est encore à méditer sur sa grande réforme judiciaire, sur l’exécution de la magistrature, — M. le ministre de l’intérieur, M. le ministre des finances lui-même, aidé de son sous-secrétaire d’état, se figurent probablement répondre à un vœu public avec leurs épurations, leurs révocations, et leurs exclusions arbitraires ; le pays, lui, voit chaque jour dans ses modestes affaires locales, dans les villes de province et dans les villages, la délation érigée en