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Sauver ! » C’est après tout, sous une forme piquante, le dernier mot de la situation nouvelle. Cela veut dire que les chances éventuelles de la monarchie restent encore entre les mains des républicains qui disposent de la politique et des affaires de la France. Il est bien certain que si les républicains ont la sagesse qu’on leur conseille, s’ils ont le courage de s’arrêter dans la voie hasardeuse où ils sont entrés, s’ils se décident enfin à redresser la direction des affaires, à modérer leurs passions et leurs convoitises, à être un gouvernement d’équité, de tolérance et de bonne administration, la république peut n’être point menacée ; elle a surtout pour elle l’avantage d’exister. Il est évident, au contraire, que si la république s’affaiblit, si elle finit par être en péril, c’est l’œuvre des républicains qui prétendent la servir et qui ne font que la compromettre par leurs fautes, par leurs excès, par tous les abus d’une domination de parti. La monarchie, elle a surtout pour elle les chances que lui donnent les républicains toutes les fois qu’ils se livrent à leurs passions, quand ils se font un système d’irriter les croyances et de troubler les intérêts, quand ils mettent la confusion dans les finances de l’état, des départemens et des communes, lorsqu’ils engagent la France dans des aventures d’où l’on ne peut plus sortir que par des humiliations ou par des témérités. C’est là ce qui peut le plus sûrement refaire la fortune de la monarchie en ravivant par degrés dans le pays le goût d’un régime mieux fait pour le protéger et le garantir dans ses intérêts moraux et matériels sans l’effrayer désormais d’une vaine et impossible résurrection du passé.

On n’en est pas là, diront les optimistes d’aujourd’hui, les satisfaits à tout prix, et si la monarchie devenait une menace, on saurait se défendre ! En attendant, ajoutent-ils, la république, au lieu d’être désavouée par la France, ne compte que des victoires de scrutin dans toutes les occasions. Les dernières élections des conseils généraux lui ont envoyé de nouveaux adhérens, et, ni dans les assemblées départementales, qui viennent d’avoir leur session, ni dans le pays lui-même, il ne s’est élevé une opposition décidée contre la politique républicaine, contre le système du gouvernement. Oui, sans doute, les républicains ont eu l’avantage dans les récentes élections des conseils généraux, et la majorité s’est déplacée à leur profit dans quelques départements qui étaient restés jusqu’ici sous l’influence conservatrice. Il ne faudrait pas cependant se faire trop illusion sur des résultats qui n’ont pas toujours une signification aussi décisive qu’on le croit. Il y a d’abord des villes, des cantons ruraux, des régions entières où le chiffre des abstentions a été immense, démesuré, et ces abstentions, que tous les partis ont l’habitude d’interpréter à leur avantage, sont dans tous les cas un premier signe du détachement ou de l’indifférence des populations. Il y a d’autres points, et ils sont assez nombreux, où, entre les candidats républicains et conservateurs, la différence des voix est presque