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que sur le papier du code international et la liberté même du commerce des neutres, telle que l’a consacrée le droit des gens moderne, recevrait dès aujourd’hui les plus graves atteintes.

Par exemple, on reconnaît que le blocus n’est pas valable s’il n’est effectif et déclaré. Mais quand est-il effectif et déclaré ? C’est ici qu’on cesse de s’entendre. Ainsi, d’après la doctrine admise en France, le navire qui tente d’entrer dans le port bloqué, même après la notification générale et diplomatique, s’il n’a pas reçu de notification spéciale, ne commet pas une violation du blocus : au contraire, en Angleterre et aux États-Unis, les tribunaux des prises jugent que tout navire, s’il fait réellement voile pour un port bloqué dans l’intention de rompre le blocus, peut être saisi à n’importe quelle distance de ce port et confisqué avec son chargement. C’est une jurisprudence déplorable : est-ce que, même après la notification diplomatique, l’accès du port bloqué ne peut pas redevenir libre ? Le neutre qui cingle vers le port bloqué ne peut-il pas nourrir légitimement cet espoir ? Si son espoir est déçu, essaiera-t-il au dernier moment, de franchir la ligne du blocus ? Tout le monde l’ignore. On réprime donc une transgression du droit international non-seulement avant qu’elle ait été commise, mais avant que personne sache au juste si le neutre tentera de la commettre. Eh bien ! les tribunaux américains ont fait un pas de plus sur cette pente glissante : la sentence qu’ils ont rendue dans l’affaire du Springbok rompt si manifestement avec la coutume internationale que M. de Boeck l’examine à part, comme une innovation redoutable. Gessner l’a déclarée « monstrueuse ; » Bluntschli a enseigné que les fameux blocus « sur papier » compromettaient moins gravement le commerce neutre ; même en Angleterre, les jurisconsultes de la couronne, sir K. Phillimore, sir W. Atherton, sir Roundell Palmer l’ont condamnée. Il s’agit cette fois en effet de savoir si l’on va faire, non plus un pas en avant, mais un pas décisif en arrière, si tout le terrain conquis a été subitement perdu et si tous les publicistes, tous les hommes d’état qui ont cru avoir à peu près défini les droits des neutres se sont attardés depuis le commencement du siècle à des billevesées.

Le Springbok, bateau anglais, commandé par un Anglais, frété par un Anglais, était parti de Londres le 2 décembre 1862, à destination de Nassau, dans l’île anglaise de la Nouvelle-Providence, du groupe des Bahamas, avec un chargement mixte, dont une partie très faible (évaluée à 600 livres), consistait en articles de contrebande de guerre : sabres, baïonnettes, bottes, boutons pour soldats, etc., tandis que la cargaison entière, composée de thé, de café, etc., valait 66 000 livres. Le 3 février 1863, comme il marchait droit vers Nassau, mais à 150 milles de ce port, il fut capturé par le navire de guerre fédéral Sonoma. La cour suprême des États-Unis relax le navire, parce qu’il