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Quand cette suprême concession lui fut arrachée, Frédéric-Guillaume IV en sentit moins la gêne que l’humiliation. C’était un attentat au droit divin, et sa théologie en fut révoltée jusque dans le fond de ses entrailles.

Il n’a pas été plus heureux dans sa politique étrangère. La malice du sort le traversa dans ses tentatives, et la timidité de ses conseils lui attira des mortifications qu’il ressentit vivement. Il souffrait de la situation subalterne de la Prusse dans la confédération germanique, il aurait voulu obliger l’Autriche à compter avec lui. Il se trouvait à ce sujet en parfaite harmonie de sentimens avec le ministre le plus remarquable qu’il ait eu, le général de Radowitz, homme de cœur, d’esprit et d’action, ne redoutant pas les responsabilités, capable d’entreprendre, mais ignorant l’art de préparer les entreprises. Peu s’en fallut qu’il ne fût entraîné par lui à la guerre avec l’Autriche. On raconte que, dans une délibération des ministres, M. de Radowitz termina son discours par ces mots : « Majesté, nous voilà comme César au bord du Rubicon ; il faut le passer. — Et vous, qu’en pensez-vous ? demanda le roi au général Rauch, revenu depuis peu de Saint-Pétersbourg. — Majesté, répondit celui-ci, je ne connais pas ce drôle qui s’appelle César, et je ne sais pas non plus ce que c’est que le Rubicon. Mais je sais que pour peu que César fût un homme intelligent, il ne vous conseillerait pas de faire ce que vous propose M. de Radowitz. » Le roi se mit à rire, et bientôt après M. de Radowitz résignait ses fonctions. Frédéric-Guillaume IV n’était pas de ces hommes qui passent le Rubicon ; mais il faut lui rendre ce témoignage que ses scrupules le retenaient sur la rive encore plus que ses inquiétudes. Il n’admettait pas que les souverains n’eussent de principes que lorsqu’il est de leur intérêt d’en avoir. Ce juste voulait être sûr de son droit. Quel que fût son désir de s’agrandir en Allemagne, les artifices, les manœuvres, les moyens louches lui répugnaient. Il n’eût jamais consenti à coqueter avec la révolution, à faire alliance avec des idées et des principes que réprouvait sa conscience de roi et de chrétien.

Les Prussiens auraient mauvaise grâce à lui reprocher ses tergiversations et ce qu’on a appelé ses reculades ; elles ont sauvé l’avenir de la Prusse. Au mois d’avril 1849, le parlement de Francfort lui avait offert la couronne impériale, il la refusa. C’était un acte d’honnête homme et de sage. Sa religion et son honneur l’enchaînaient ; il se faisait un scrupule de se passer du consentement des princes allemands, dont les droits lui étaient sacrés. Il savait du reste qu’un roi de Prusse ne pouvait devenir empereur d’Allemagne qu’après une guerre heureuse, que le vote d’une assemblée ne suffisait pas et qu’ainsi qu’il le disait, on offre souvent ce qu’on ne peut pas donner. Il savait aussi que les dons de la révolution ne sont pas gratuits, qu’il deviendrait avant peu le serviteur ou l’ennemi de ceux qui l’auraient couronné. Il savait