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chiffres moins attrayans, mais plus sûrs de la statistique, j’apprends que des quartiers européens, avec des hôtels aussi luxueux que ceux de Calcutta, la ville des palais, se sont élevés à côté des villes chinoises, qu’il y a là des colonies composées de toutes les nationalités, qu’il s’y fait couramment de grandes affaires avec tous les points du monde, et que l’air y est embrumé par la fumée de nombreux paquebots. Ce serait un rêve d’extrême Orient si les tableaux de douanes n’étaient là pour démontrer la réalité du progrès qui, en moins d’un demi-siècle, a transformé la vieille Chine partout où celle-ci a subi le contact de l’Europe.

Il nous faut revenir aux chiffres. Les principaux articles d’importation sont l’opium (263 millions de francs en 1881) et les tissus de coton (182 millions) ; puis viennent les tissus de laine, les métaux, les bois, la houille. A l’exportation, deux articles, le thé et la soie, forment le principal objet du trafic ; le thé, pour 230 millions en 1881, et la soie, pour 188 millions ; viennent ensuite le sucre, le papier, la porcelaine, les peaux, etc. Alors que le commerce était monopolisé à Canton, les frais et vies délais nécessaires pour le transport des produits de l’intérieur rendaient les échanges difficiles ; aujourd’hui les marchés sont établis sur les lieux mêmes de production ; les navires européens peuvent embarquer et débarquer leurs cargaisons dans les principaux ports du littoral et, par les fleuves, aux plus grandes distances de la côte. Les comptoirs se sont, dès lors, créés dans les régions où se produisent les différentes qualités du thé et de la soie.

Les Anglais ont redouté un certain ralentissement dans la vente de l’opium de l’Inde ; ce serait pour leur commerce et pour le budget indien un sérieux mécompte. Longtemps interdit sous les peines les plus sévères, l’opium a fini par obtenir d’abord une certaine tolérance, puis droit de cité. Aujourd’hui même, la culture du pavot s’est introduite dans plusieurs provinces ; elle se propage rapidement à cause des bénéfices qu’elle procure ; elle est appelée à prendre, comme celle du tabac, une extension très considérable. L’opium chinois fait ainsi concurrence à l’opium de l’Inde, et il commence à paraître en abondance sur les marchés : c’est ce qui explique les appréhensions du commerce anglais. Toutefois cette concurrence ne paraît pas de voir diminuer les ventes de l’Inde. L’opium de Patna, de Malwa et de Benarès, supérieur en qualité à l’opium indigène, conservera la clientèle des classes riches. En outre, l’habitude de l’opium s’est tellement répandue dans toutes les classes de la population que les produits des diverses provenances trouveront toujours un placement facile. Les Chinois ne se cachent plus pour fumer l’opium ; la drogue se débite publiquement ; dans la plupart des villes, il existe des établissemens disposés à l’usage des fumeurs ; la pipe d’opium tend à remplacer, dans les visites d’affaires ou de politesse que se font les Chinois,