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de perception profite à la fois au commerce et au trésor : l’administration européenne offre toutes garanties d’égalité, et le trésor reçoit intégralement, en numéraire, une centaine de millions qui seraient plus ou moins allégés s’ils avaient à passer par les caisses des mandarins.

Aux cinq ports ouverts en 1842 les traités de 1858 ont ajouté quatorze ports nouveaux où le commerce étranger est admis. Cinq de ces ports, en amont de Shanghaï, sont situés sur le fleuve Yang-tse-Kiang. Le plus éloigné, I-chang, est à 1,800 kilomètres de la mer Hankeou, placé à la rencontre du fleuve et du grand canal, est à plus de 900 kilomètres de l’embouchure du Yang, et ce port, d’où les thés de l’intérieur sont expédiés directement sur l’Europe, entretient avec l’étranger un courant d’affaires qui, en 1881, s’est chiffré par 300 millions. Au nord, le port de Newshwang, qui ouvre les relations avec la Corée, Tien-tsin, qui dessert Pékin ; au sud, Swatow et Pakhoi, qui trafiquent avec le Tonkin et Singapore ; Tamsin et Takow, dans l’île Formose ; Kiungchow, dans l’île d’Haïnan, complètent le système d’investissement commercial par lequel l’Europe pénètre plus avant chaque année sur les marchés du Céleste-Empire. Shanghaï et Canton demeureront longtemps encore, à raison de leur voisinage de la mer, les métropoles du commerce européen en Chine ; mais les autres ports, surtout ceux qui sont abordables par le Yang-tse-Kiang, offrent d’inépuisables ressources qui doivent se développer avec une grande rapidité si le gouvernement, en paix avec l’Europe, est de force à les garantir contre les guerres civiles qui, par deux fois déjà depuis trente ans, ont dépeuplé et ruiné plusieurs provinces. — La Chine est vraiment privilégiée pour la navigation fluviale. Si les canaux, creusés il y a plusieurs centaines d’années, aux temps de la prospérité et de la puissance, sont aujourd’hui mal entretenus, envasés, presque en ruines, les fleuves et les rivières restent ; les fleuves, navigables sur d’énormes parcours, procurent aux transports l’économie et la rapidité. Il faut avoir vu la Chine pour se rendre compte de l’activité qui règne sur ces cours d’eau sillonnés par des myriades de navires, petits et grands, où grouille et se multiplie, vit et meurt, une population de matelots telle qu’il n’en existe de semblable nulle part ailleurs. La Tamise paraît déserte quand on se souvient de la rivière de Canton. Ce souvenir me reste après un intervalle de quarante ans. Lorsque l’ambassade de M. de Lagrené visita, en 1845, les villes récemment ouvertes, il n’y avait à Ningpo, à Amoy, à Shanghaï qu’une seule maison accessible, celle du consul anglais, qui venait de s’installer ; pas un négociant, pas une auberge ; dans le port, deux ou trois navires envoyés à la découverte par des négocians de Canton pour inaugurer en quelque sorte la Chine nouvelle ; les bateaux à vapeur se comptaient. Et maintenant, quand je lis les récits des voyageurs et les