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Versailles un traité faisant cession à la France de la baie de Tourane, de plusieurs îles et d’un territoire adjacent, en échange de l’assistance armée qui aurait été donnée Gya-Long contre une révolution qui l’avait obligé à chercher un asile chez son voisin le roi de Siam. Les événemens de 1789 empêchèrent l’exécution de ce traité. Plus heureux que Louis XVI, l’empereur Gya-Long reprit possession de ses états, et sous son règne, qui se prolongea jusqu’en 1819, l’influence française, habilement servie par l’évêque d’Adran, demeura prédominante ; plusieurs Français, officiers ou ingénieurs, occupèrent à la cour les principaux emplois ; le commerce français était l’objet de faveurs spéciales. Les successeurs de Gya-Long n’héritèrent point de ses sentimens pour la France ; ils poursuivirent les missionnaires, ils persécutèrent les communautés chrétiennes quittaient devenues assez nombreuses, et, se conformant à la tradition chinoise, ils fermèrent leurs ports aux étrangers. Les Annamites n’eurent pas même le droit de trafiquer au dehors. L’empereur était le seul commerçant, l’unique armateur. La cour possédait quatre ou cinq grands bâtimens, décorés du titre de frégates, qui allaient chaque année à Batavia et à Singapore faire les échanges pour le compte et au profit du trésor impérial. Comme à Siam, la production à l’intérieur du pays était assujettie au régime du monopole.

Le gouvernement d’Annam repoussa obstinément toutes les demandes qui lui furent adressées dans l’intérêt du commerce étranger ; une démarche, tentée en 1855 par l’Angleterre, n’obtint aucun succès. A diverses reprises, la France dut montrer son pavillon, et même faire parler le canon, dans la baie de Tourane, pour tirer satisfaction des mauvais traitemens infligés aux missionnaires catholiques ; elle avait perdu le bénéfice des souvenirs laissés par l’évêque d’Adran ; il ne lui restait plus rien de son ancien prestige dans ce pays, sur lequel la politique coloniale du règne de Louis XVI avait un moment porté ses vues, et il ne fallait plus compter que sur la force pour avoir raison de l’empire d’Annam. La violence de la persécution religieuse et l’insolente attitude des mandarins dans leurs rapports avec les officiers français fournissaient de nombreux cas de guerre. Ce fut seulement en 1859, au cours de l’expédition de Chine, qu’une division navale franco-espagnole opéra contre les côtes d’Annam. Tourane fut d’abord occupé, puis Saïgon ; après deux années de combats, la France s’établit dans trois provinces de la Basse-Cochinchine, qui lui furent définitivement cédées par le traité du 5 juin 1862, en même temps qu’elle se réservait un droit de circulation et de police dans la région du Tonkin par laquelle, en remontant le fleuve Rouge, on accède aux frontières méridionales de la Chine. L’expédition militaire, qui ne semblait, à l’origine, destinée qu’à réprimer les méfaits reproches à la cour d’Annam, devint ainsi le point de départ de la conquête. Un second traité, signé en 1874, étendit le territoire cédé en 1862 dans la Basse-Cochinchine,