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restituer à la même époque les places de sûreté avant l’époque fixée par l’édit de pacification. Les préparatifs de guerre contre l’Espagne étaient poussés avec vigueur. Charles IX avait formellement promis à Ludovic de Nassau une armée commandée par l’amiral et ce prince, encouragé par ces promesses, avait déjà franchi la frontière française avec un corps de volontaires. Jeanne d’Albret arriva à Paris dans la première quinzaine de mai ; elle y tomba tout de suite malade et mourut le 9 juin. L’amiral, à la première nouvelle de sa maladie, avait quitté Châtillon et il avait pu assister aux derniers momens de « cette reine n’ayant de femme que le sexe, l’âme entière aux choses viriles, l’esprit puissant aux grandes affaires, le cœur invincible aux adversités. » (D’Aubigné.) La mort de Jeanne d’Albret est pour ainsi dire le premier acte du grand drame qui se préparait ; la guerre à l’Espagne était le masque qui couvrait les haines françaises. Quand Tavannes, se souvenant de Jarnac et de Moncontour, disait à Coligny qu’il ne fallait pas que les vaincus conduisissent les victorieux ; quand Coligny lui répondait : « Qui empepche la guerre d’Espagne n’est bon Français et a une croix rouge dans le ventre ! » Charles IX ne savait qui écouter ; on lui faisait aussi peur par instans des « gueux ; » il blâmait leurs « malheureux desseins ; » mais n’osait ni déclarer la guerre à l’Espagne ni venir au secours des Français enfermés dans Mons. Elisabeth était toujours la même ; elle ne voulait pas entendre parler d’un agrandissement pour la France. Middlemore, soupant chez l’amiral le 10 juin, ne lui cachait pas que « ce qu’on craignoit surtout, c’étoit que la France ne s’emparât des Flandres, ce qu’à aucun prix ne pouvoit souffrir l’Angleterre. » On pouvait toujours redouter un rapprochement d’Elisabeth et de Philippe. Ludovic de Nassau, enfermé dans Mons, avait envoyé Genlis en France pour demander un secours ; l’amiral pressait le roi de le laisser entrer avec douze mille hommes de pied et trois mille chevaux tout prêts dans l’Artois et le Hainaut ; le roi hésitait, il voulait attendre les noces de sa sœur et ne le laissait point partir. Le malheureux Genlis partit à ses risques et périls, sans attendre une déclaration de guerre avec l’Espagne ; les Espagnols, avertis de son départ, le surprirent, taillèrent une partie de ses troupes en pièces et firent le reste prisonnier. Catherine, saisie par la peur des années espagnoles, oblige Charles IX à désavouer Genlis ; Coligny seul tient ferme et lève de nouveau douze mille arquebusiers et trois mille chevaux ; les enrôlemens se font ouvertement. Charles IX, apprenant que le duc d’Albe fait pendre et noyer les prisonniers français, entre dans un accès de fureur : « Le duc d’Albe, dit-il à l’amiral, me fait mon procès. » Cette fureur passée, il va chasser à Montpipeau ; la reine mère l’y suit, s’enferme avec lui, l’implore, le supplie de cesser les conseils secrets avec