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s’entretint souvent avec lui de ces graves questions, il traita le maréchal avec les plus grands égards, mais il se montrait peu disposé encore à venir à la cour. Il n’était pas retenu seulement par des défiances bien naturelles ; après une si rude campagne, il était occupé de ses affaires de famille ; il s’était trouvé séparé longtemps de sa fille Louise, qu’il voulait marier, bien qu’elle n’eût encore que seize ans, à Téligny, en qui elle avait vu de tout temps un protecteur et comme un frère. Lui-même songeait à se remarier. Il avait pleuré sincèrement Charlotte de Laval et n’eût peut-être pas cherché une autre femme ; mais il s’en trouva une qui de loin s’éprit de sa renommée, de sa gloire, de ses vertus, et qui lui exprima son admiration dans ces termes qui touchent presque toujours irrésistiblement les cœurs les plus fiers et les plus farouches. Jacqueline d’Entremonts, jeune veuve pieuse, romanesque, vivant seule dans ses grands domaines de Savoie, sollicita, si cela pouvait se dire d’une femme, l’honneur de devenir la compagne de Coligny ; elle aspira à partager ses dangers, ses travaux, ses épreuves. L’amiral refusa d’abord, il était trop âgé, il ne pouvait entraîner une femme sur une route où il trouverait peut-être tant de maux. Jacqueline d’Entremonts insista ; Théodore de Béze fit des instances auprès de l’amiral, qui se résolut enfin adonner une seconde mère à ses enfans. Il ne cédait point au désir d’acquérir les grands biens de sa nouvelle femme, car Philibert-Emmanuel fit obstacle au mariage de sa sujette, et la loi condamnait à la perte de ses domaines toute femme possédant un fief relevant des ducs de Savoie qui se marierait sans leur autorisation. Ce second mariage fut un véritable roman. Jacqueline d’Entremonts se sauva, traversa toute la France à cheval, sous la protection de cinq gentilshommes et vint retrouver l’amiral à La Rochelle. Le mariage eut lieu le 25 mars. Celui de Louise de Coligny avec Téligny fut célébré deux mois après, en présence de Jeanne d’Albret, des princes de Navarre et de Condé, du comte Ludovic de Nassau, de La Rochefoucauld, de La Noue.

Dans l’intervalle de ces deux unions, Coligny avait appris la mort de son frère Châtillon ; celui-ci se disposait à partir pour La Rochelle, quand il était tombé gravement malade. Il avait rendu le dernier soupir à Cantorbéry le 21 mars. Avait-il été empoisonné, comme on le crut dans son temps ? Smith écrivait à Walsingham, le 13 janvier 1572 : « Nous avons reçu des nouvelles de La Rochelle tout récemment qu’un domestique du cardinal de Châtillon y a été exécuté pour avoir voulu trahir le plan. Il a confessé, allant au supplice, que c’étoit lui qui avoit empoisonné le cardinal en Angleterre. » Burleigh écrivait à Walsingham tout de suite après la mort : « Nous perdons beaucoup ici et les honnêtes gens de delà aussi beaucoup