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état militaire digne de la France, il faut en accepter les conditions : il faut savoir se soumettre à une durée suffisante de service, maintenir l’autorité d’une sévère discipline, relever autant que possible l’esprit et les mœurs militaires, faire aimer et respecter l’uniforme comme le drapeau. Si on ne veut pas de ces conditions nécessaires, essentielles, si on ne veut qu’une sorte de garde nationale, à quoi bon laisser peser sur le pays cette énorme charge de près de six cents millions, qu’il supporte depuis dix ans, sans parler des dépenses inscrites dans les comptés de liquidation et dans les budgets extraordinaires ? Il faut choisir, sans s’épuiser indéfiniment à ce problème insoluble qui consiste à vouloir une armée et à n’en pas vouloir les conditions.

Avec ces idées confuses qui règnent depuis quelques années, depuis que l’esprit prétendu républicain est entré dans l’administration militaire, on a vu ce qui est arrivé à Tunis. Il a fallu que les erreurs de direction et d’organisation fussent réparées sur le terrain par le vaillant entrain de nos soldats et de leurs chefs. C’est une leçon qui devrait du moins profiter pour cette expédition nouvelle engagée au Tonkin, dans une contrée bien plus lointaine et dans des conditions plus difficiles. Nos soldats feront leur devoir sans doute comme ils l’ont toujours fait. Ils ont pu être malheureux un instant avec l’infortuné Rivière, faute de secours suffisans. Ils viennent d’être plus heureux dans un vigoureux combat soutenu par le lieutenant-colonel Badens, qui commande la citadelle de Nam-Dinh, dans le bas du delta du Fleuve-Rouge. Le petit échec de nos forces devant Hanoï avait probablement quelque peu surexcité ces bandes de Pavillons-Noirs ou d’Annamites qui ont un instant menacé Nara-Dinh. Le lieutenant-colonel Badens, dans une sortie énergique, s’est jeté sur ces bandes désordonnées, il leur a tué un millier d’hommes et leur a pris quelques canons, assurant ainsi la position. Il n’y a évidemment rien à grossir ; ce n’est là qu’un incident heureux qui répare une fâcheuse mésaventure, mais qui ne décide rien. La question essentielle est toujours de savoir ce que le gouvernement français se propose de faire, quels sont ses projets et ses combinaisons. Militairement, il a envoyé une petite armée qui, à ce qu’il semble, est déjà en état de remplir la mission qu’on lui confiera, à la condition d’être suffisamment ravitaillée et soutenue. Diplomatiquement, il négocie plus ou moins directement ou indirectement, soit avec la Chine, soit avec l’Annam. Sur tous ces points, il ne s’est expliqué que d’une manière assez évasive devant les chambres. Il n’a pas pu ou il n’a pas voulu dire expressément où en étaient nos affaires, si nous étions déjà en hostilités déclarées avec l’empire d’Annam, et s’il y avait dans nos relations avec la Chine elle-même quelque apparence de rupture, de guerre prochaine ou éventuelle. Il a évité de sortir de la réserve avant les vacances, peut-être par un certain calcul, avec l’intention de ne pas laisser ces affaires