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REVUE DES DEUX MONDES.

Ce qui manque précisément dans tout ce monde qui est apparu depuis quelques années, c’est la sève, c’est le sentiment des choses généreuses et élevées. Des prétentions, des jactances, tout cela ne manque sûrement pas dans les discours de M. le président du conseil, qui semble toujours se croire appelé à fonder le gouvernement de la république progressive. Au fond de tous ces grands mots il reste le plus souvent une imitation assez médiocre et assez servile des procédés, des expédiens de tous les gouvernemens qui se sont succédé. On se laisse aller parfois encore, par une sorte d’habitude monotone, à récriminer contre les régimes qui ont mis leurs iniquités à l’abri de la raison d’état, et, à la première occasion, sans y être même obligé par une nécessité pressante, on invoque tout comme d’autres la raison d’état, on procède sans plus de façon par voie discrétionnaire et administrative. Est-on gêné par des garanties publiques depuis longtemps consacrées, par des traditions libérales, par une institution respectée ? on a tout simplement recours à l’arbitraire ; on fait mieux, on constitue légalement l’arbitraire, on se donne une dictature de trois mois pour se passer toutes ses fantaisies, pour remanier sans contrôle et sans règle la magistrature tout entière. Veut-on se populariser, se créer des clientèles, assouvir des convoitises de parti ? on met le désordre dans les finances, on puise dans le budget ordinaire et extraordinaire pour multiplier sans mesure les travaux publics, pour bâtir des maisons d’école fastueuses comme on bâtissait autrefois des préfectures monumentales, pour élever des traitemens et distribuer des pensions. On fait, en un mot, tout ce qu’on a reproché à d’autres, de sorte que toute la politique des pouvoirs du jour semble consister à reproduire les défauts, les abus des régimes qu’on prétend remplacer, sans avoir leurs qualités, sans les égaler dans ce qu’ils ont eu de bienfaisant. Il y a bien de quoi montrer tant de jactance dans les discours d’apparat, et traiter en réactionnaires tous ceux que ne satisfait pas une république progressive ainsi conduite !

Non certes, on ne se plaindrait pas si, dans l’état nouveau créé à la France, il y avait des pouvoirs ayant l’ambition de tenter des réformes, dépensant même beaucoup, si l’on veut, mais assez prévoyans, assez intelligens pour imprimer aux affaires du pays une juste et utile direction. On se plaint et on a raison de se plaindre, parce qu’au lieu de fonder le gouvernement dont M. le président du conseil parle sans cesse, au lieu de réformer réellement et de s’occuper des affaires du pays, nos ministres, nos politiques passent le temps à défaire ce qui reste d’institutions, à tout réduire aux plus vulgaires calculs de parti, à désorganiser un jour la magistrature, un autre jour l’armée. Ce n’est point assurément M. le ministre de la guerre qui refusera aux radicaux dont il est l’obligé, les satisfactions qu’ils réclament. Il est toujours prêt, il est à leurs ordres, comme il l’a dit dans une circonstance récente,