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ces querelles avec le public et la presse, ces débats avec une assistance qu’il est fâcheux de convier pour se moquer d’elle, ces différends que M. Thomas tranche d’une dignité peut-être un peu naïve, quand il s’écrie du haut de sa tribune : « Vous êtes libres d’exprimer votre opinion, mais ailleurs qu’ici! »

Au lendemain du concours, les plus enviés de ces jeunes gens, sinon les plus heureux, sont engagés à la Comédie-Française. Jamais ils n’ont porté le costume, jamais ils n’ont joué sur une grande scène, — ni tout un rôle, — ni avec d’autres acteurs, — mais avec deux ou trois camarades, et pour échanger quelques répliques. Ils savent l’orthographe du métier; ils ne possèdent ni style, ni science de composition : est-ce temps alors qu’ils en acquièrent? La Comédie-Française n’est pas une école, même supérieure; aussi bien elle compte, au-dessous des sociétaires, trop de pensionnaires déjà formés et qu’elle doit employer, pour qu’elle consacre son temps à en former de nouveaux. Peut-être il serait bon qu’après avoir été récompensés une première fois, voire une seconde, les élèves du Conservatoire restant à l’école y pussent jouer en costume à de certains intervalles, — une fois le mois, par exemple, — des pièces ou du moins des actes entiers, dans des représentations où le public serait admis; un public de parens, d’amateurs et de critiques, dont les avertissemens élogieux ou sévères ne manqueraient pas de servir à ces jeunes gens. Peut-être aussi serait-il expédient d’établir que tout lauréat du Conservatoire, avant d’être enrôlé par la Comédie-Française ou de recouvrer sa liberté, doit faire un stage à l’Odéon, — à cette condition toutefois qu’on ne laisse pas les plus brillans se rouiller dans cet air de province et que, sur la demande du directeur de la Comédie, conforme à l’avis du directeur du Conservatoire, le ministre des beaux-arts puisse abréger leur stage et les gracier. Il est vrai que le second Théâtre-Français serait plus fort quand le premier cesserait d’intercepter, à la sortie de la révision, des conscrits qu’il n’a pas le loisir d’exercer; l’un y gagnerait tout de suite sans que l’autre y perdît grand’chose ; celui-ci même y gagnerait, après quelques années, quand celui-là lui enverrait des recrues instruites. J’imagine que ces recrues ne s’en plaindraient pas, ni le public non plus ; l’art y profiterait.

Voilà bien des changemens et qui ne se feront pas d’un coup ; je n’en vois guère cependant qui ne soit nécessaire pour assurer la restauration de l’art classique et la prospérité de l’art dramatique, de quelque ordre qu’il soit, même romantique ou contemporain. Le grand répertoire tragique et comique est peut-être la gloire la plus claire de la France. L’état se reconnaît le devoir de veiller à ce que les chefs-d’œuvre qui le composent se perpétuent sur la scène; c’est pourquoi il subvient de ses deniers à l’entretien de la Comédie-Française, de l’Odéon et du Conservatoire, — qui doit fournir des acteurs à ces deux