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centimes. » L’imitation des derniers vers est flagrante. Même ironie, moins légère, il est vrai, et sans ailes, dans le morceau de M. Scheffel.

Après les chants patriotiques, les gaudrioles et les fariboles tiennent une large place dans le Commers-Buch. M. Scheffel est sans rival en ce genre drolatique et goguenard. Il y a cherché un filon d’originalité qu’il a fini par rencontrer. Des leçons populaires sur la théorie de l’évolution, faites à Heidelberg par son ami le plus intime et confrère en Bacchus, le pasteur Schmetzer, lui suggérèrent l’idée burlesque de mettre cette théorie en chansons et de tourner en ridicule nos ancêtres les fossiles, que M. Louis Bouilhet a chantés en France avec sérieux et respect. De là une suite de chansons cosmogoniques et paléontologiques, où nous voyons le megatherium se vautrer dans sa monstrueuse paresse, l’ichtyosaure, conservateur antédiluvien, se lamenter sur la décadence prochaine, sur la dégénérescence des mâles et des femelles :


Il se fait un bruissement dans les prèles, la mer a des lueurs douteuses; les larmes dans les yeux, un ichtyosaure s’avance à la nage.

Il gémit sur la corruption des temps, car une tendance fort dangereuse s’était depuis peu manifestée dans le terrain du lias.

« Le plésiosaure, le vieux drôle, fait force ripaille, le ptérodactyle lui-même est rentré soûl chez lui.

« Cette brute d’iguanodon, dont l’impudence n’a plus de bornes, a déjà osé en plein jour baiser l’ichtyosauresse.

« Je pressens un cataclysme, les choses ne peuvent durer ainsi. Que deviendra le lias si pareils faits se produisent? »

Ainsi gémissait l’ichtyosaure, et il avait l’humeur crayeuse. Il rendit le dernier soupir au milieu des vapeurs et des bouillonnemens de l’onde,

A la même heure, périt toute la famille des sauriens; ils s’enfoncèrent trop dans la craie, et naturellement ce fut la fin.

Et celui qui nous a chanté cette chanson pétrifiée l’a trouvée comme une feuille d’album fossile sur un coprolithe.


Plaisanterie toute allemande que ce dernier vers : le coprolithe est un excrément fossile. Une autre pièce, intitulée Guano, dont il suffira d’indiquer le titre, car elle n’est pas de bonne compagnie, chante les digestions heureuses de l’âge préhistorique. Elle rappelle la fameuse lettre qu’écrivait la princesse palatine, Madame, mère du régent, sur le même sujet. Dans la pièce érotique intitulée Asphalte, notre poète, dès la première strophe, invite le lecteur à se boucher le nez; il raconte qu’un derviche en bonne fortune se promenait un jour sur les bords empestés de la Mer-Morte,